mes cartes postales

de Barcelone – Tu aimes les chantiers, a remarqué Valentina quand, depuis le toit de notre hôtel, je me suis concentrée sur les grues qui se détachent devant les collines boisées (collines que l’on devine habitées de sangliers pour qui rien de ce qui va nous occuper cette semaine n’existe). Oui, je suis ravie d’être dans un quartier en travaux, c’est très photogénique et très agréable pour courir puisque forcément infréquenté. J’aime aussi les reflets.

Dans le hall de l’hôtel, je descends de l’ascenseur et croise Jamila Woods. Je lui parle de Colline, mon roman jugé trop radical par les quelques éditeurs qui l’ont lu à ce jour et dont elle est l’un des personnages principaux. Quand je la quitte, je vois Jenny Hval assise dans le lobby auprès de Håvard Volden et, après un temps d’hésitation, décide d’aller lui parler du projet au sujet duquel j’avais contacté son agent l’année dernière et elle me propose de lui écrire directement. Je suis un peu étourdie par tant d’émotion pendant ma petite promenade, je n’ai pas l’habitude de croiser deux de mes héroïnes en quelques minutes – pendant qu’une troisième de mes héroïnes de longue date, devenue mon amoureuse, est en train de faire la sieste dans notre chambre.

Et puis il y a le festival. Un village en bord de mer, avec une densité de population effrayante et un nombre invraisemblable de scènes. Par chance, le bracelet VIP que me vaut mon statut de mini-bartender permet d’accéder à des espaces aérés, y compris à des arrière-mondes – car, quand on en cherche, on en trouve partout.

J’ai très vite été attirée par ceci et je m’emploie, pendant que Madame fait ses balances, à trouver le moyen d’approcher ce complexe industriel bordé de palmiers.

Quelques visions très arrière-mondaines me plaisent particulièrement.

Puis j’atteins mon but, après quelques détours.

En me dirigeant vers la scène NTS, où Valentina va jouer deux fois (une fois avec son groupe Moin et une autre en solo totalement improvisé puisque son camarade Joao a le covid), je tombe sur Weyes Blood, je n’avais pas l’intention d’aller l’écouter mais elle commence par ma chanson préférée d’elle, Everyday alors je m’assieds sur l’herbe synthétique du carré VIP désert, à l’écart de la foule écrasante qui se masse devant la scène, et je reste jusqu’au bout parce que c’est très beau, d’ailleurs Wild Time me fait pleurer.

Depuis une passerelle géante, je découvre que

Valentina a fini ses balances. Et bientôt, c’est parti.

Pendant son deuxième set, je me dis que dans ce festival essentiellement mainstream, une seule personne était susceptible de jouer un solo expérimental – et c’est ma meuf. Un bref extrait.

Ce matin, j’ai couru dans une station balnéaire désaffectée – enfin, c’est ce que mon imagination a voulu y voir, et que la météo et la faible fréquentation en cette heure matinale m’ont permis de croire.

/ 3 : des nouveautés

de Valentina, dans l’ordre chronologique de leur parution. Ce EP sort officiellement le 10 juin mais on peut déjà en trouver la version numérique, notamment ici.

Paru hier, ce premier volume d’une collaboration à distance (UK-USA) qui s’annonce prolifique. Un concentré d’énergie brute. Pour en savoir plus et écouter des extraits, cliquer ici.

Parue aujourd’hui, cette réédition chinoise de son premier album solo, augmentée d’un nouveau titre. On peut la trouver ici.

Weird in the wild

Trop weird pour n’être qu’un / 3, ces souvenirs d’une séance de photos avec Valentina et Laila – musicienne dont j’aime beaucoup le travail et qui figure également dans mon répertoire de créatrices sonores. Nous avons pris un train pour Hampstead Heath, la lumière était plus vive que nous ne le souhaitions mais nous avons essayé d’en jouer ; les réflecteurs sont devenus des accessoires. Nous faisions des essais pour la pochette d’un album à venir que je suis l’une des deux seules personnes à avoir entendu à ce jour, s’il m’est permis de frimer un peu, et dont je pressens qu’il ne passera pas inaperçu. Voici donc trois photos qui ne nous serviront pas et qui révèlent parfaitement l’esprit de ce que nous avons essayé de faire.

Nous avons beaucoup ri, sous le regard blasé d’un renard de format saint-bernard.

Cette sacrée rotondité

Voici enfin quelques images du 5 mai, à Regnéville, où Emmanuelle Polle, Aude Rabillon et moi-même avons performé notre pièce à trois voix pour la première fois.

C’était dans la salle des fêtes de Regnéville-sur-Mer.

Ici, nous sommes entourées par les allié.e.s de rêve, Claire Crosville et Pascal Benning. C’était un bonheur de travailler et d’échanger avec eux.

Sun Ra

Hier soir, Valentina mixait à Hackney Earth. Il s’agit d’un ancien cinéma souterrain qui, après avoir été redécouvert, a été transformé en salle de concerts sans qu’une ponceuse ou un pinceau aient été mis à contribution. Pure décadence telle que je l’aime. Nous y étions déjà venues samedi soir pour la première soirée du Sun Ra Arkestra – l’ensemble légendaire allait jouer trois soirs de suite et Valentina mixait pour le dernier concert. Moi, je l’assistais modestement, lançais les morceaux en version digitale sur mon ordinateur portable et rangeais les disques dans leurs pochettes. Petite main. L’ingé son est venu dire à Valentina, Samedi soir, c’était le gars de Sonic Youth qui mixait, mais c’est toi qui gagnes. Il l’a félicitée pour l’étrangeté (le mot était weird) de sa sélection.

Elle m’a embrassée derrière ses platines et m’a dit, Tu aurais imaginé ça il y a trois mois, mixer avec moi pour le Sun Ra Arkestra ?

(Merci à Susumu pour la photo.)

Je ne l’aurais pas imaginé non plus en 1990, quand j’ai découvert l’ensemble – c’était l’époque où, comme je le décris dans Terrils tout partout, j’allais à pied à la médiathèque de Lens tous les samedis après-midi avec mon walkman et empruntais des disques de free jazz. Cette musique m’était un refuge comme l’espace en était un pour ce musicien avant-gardiste trop noir et trop gay pour son ère, au point qu’il préférait se revendiquer de l’espace. Aujourd’hui, l’Arkestra est dirigé par Marshall Allen, 97 ans et en grande forme ; il est le dernier musicien vivant de l’ensemble originel. Ci-dessous en rouge.

Alors que nous assistions au concert, Valentina m’a dit à l’oreille que Poutine avait menacé Londres de la bombe atomique ; elle l’avait appris le matin même. J’ai frémi quand l’Arkestra s’est mis à jouer Nuclear War dans une ambiance justement électrique.

Nous étions sous terre comme dans l’espace, dans une autre dimension. Il y avait les amis, Susumu, Yoshino, Cathy, Arthur ; il y avait une dame qui peignait des toiles au premier rang ; il y avait une vieille dame en tailleur-pantalon rose bonbon qui dansait avec une vigueur et une grâce magnifiques au pied de la scène et deux jeunes garçons debout au milieu des gradins, leurs corps souples et légers au milieu des spectateurs assis. Tout cela très magique et libérateur. Le concert fini, nous avons lancé notre mixtape, qui débute (comme je le disais dans le précédent billet) par un morceau maison, Valentina au piano et ma voix en boucle. On peut m’entendre dire « Tu souris mais la vérité est amère » (que je prononce comme un « ta mère ») ; l’idée nous en est venue parce qu’une inconnue a vraiment dit à Valentina, il y a deux semaines, dans la rue, « You smile but the truth is bitter ».

La vieille dame en tailleur-pantalon rose bonbon était la dernière à quitter la salle.

Aujourd’hui, nous allons prendre des photos pour un album de Valentina. Mais pas dans ce genre-là.

2 jours cellulaires

Mon amour et moi avons passé deux jours incognito à Paris.

Nous avons constaté l’extrême difficulté de s’y alimenter – à Londres, on trouve des options vegan absolument partout, des cuisines de tous les pays sont accessibles aux antispécistes, c’est fantastique (j’y ai même testé la nourriture népalaise) ; je me rappelle avoir constaté la même chose à Berlin il y a dix ans déjà ; mais à Paris, même trouver une option végétarienne est un défi. (Outre que les gens sont d’une impolitesse exemplaire, que les rats filent sur les trottoirs immondes et que des êtres humains errent pieds nus, égarés, au milieu de gravures de mode ployant sous les sacs de shopping.) Mais nous avons infusé notre magie dans cette ville qui m’est si hostile.

Nous avons trouvé l’hôtel le mieux insonorisé de la capitale, aux murs couverts de mousse alvéolaire. Il se trouve à la Villette, j’aime bien cet endroit (je ne suis pas que grognon).

Nous étions venues assister à la version concert de Cellular Songs, la pièce de Meredith Monk dont j’ai beaucoup parlé dans mon livre A happy woman mais également sur ce blog, dans la rubrique Autumn in New York. Après y avoir assisté, nous avons rejoint la joyeuse compagnie pour fêter l’anniversaire de ma chère Allison. Je les retrouvais, Meredith et elle, près de cinq ans ans après mon immersion dans la vie de l’Ensemble à New York. Allison et moi avons repris The Mountaineer’s Courtship, chanson d’Ernest et Hattie Stoneman (1927) que nous avions déjà chantée à Lille. Nous étions également en compagnie de Jean-Louis Tallon, auteur (entre autres) du formidable livre Meredith Monk, Une voix mystique, paru cette année aux éditions Le Mot et le Reste ; je le rencontrais hier pour la première fois après cinq ans d’une correspondance régulière et amicale. Ci-dessous, sur la photo prise par mon amour, on me voit auprès d’Allison et de Meredith et on aperçoit en bout de table Ellen Fisher, toujours aussi adorable et drôle qu’en 2017.

La photo ci-dessous a été prise par Jean-Louis.

Quand reverrai-je Allison et Meredith ? En octobre si je suis Valentina en tournée (c’est à l’étude), en 2023 si je fais miraculeusement partie des élus de la Villa Albertine… Cette fois, en tout cas, je ne laisserai pas passer tant d’années.

Et maintenant, l’Ensemble est en route pour une dernière date européenne cellulaire au Luxembourg, mon amour en plein vol pour Malmö, où elle jouera à minuit. Moi, je suis rentrée à Lens, un peu étourdie par tant d’émotions fortes.

(Détail du papier peint dans la chambre d’hôtel.)