Noirlac

La semaine dernière, j’étais en résidence avec Soizic Lebrat à l’abbaye de Noirlac, à Bruère-Allichamps (Cher). Je dois à mon amie Aude Rabillon d’avoir rencontré cette incroyable violoncelliste et improvisatrice, qui m’a donc embarquée à bord d’un projet de livre-disque qui paraîtra l’année prochaine chez Mazeto Square. Soizic a enregistré son Solo Suite dans l’abbatiale, qui a une réverbération de 10 à 13 secondes ; l’ingé son Céline Grangey (dont je me suis rendu compte le jour du départ que je connaissais un très chouette duo dans lequel elle joue, Lila Bazooka) l’a suivie dans ce pari fou.

(Soizic et moi regardons voler un rouge-queue noir dans l’abbatiale de Noirlac. Super photo de Christophe Charpenel, avec son aimable autorisation)

Un rouge-queue noir ressemble à ça (j’ai zoomé, il était perché à 15 m du sol, mon appareil était mal réglé mais ça donne une idée).

Quant à l’abbaye de Noirlac, voici un petit aperçu de son cloître et de ses galeries ; l’abbatiale est la partie la plus haute du bâtiment.

Et moi, qu’est-ce que j’ai fait, pendant cette formidable et trop courte résidence ? J’ai profité du vélo prêté par Valérie (merci encore) pour me mettre en quête de différents centres géographiques exacts de la France (il y en a onze, selon les modes de calcul). Bruère-Allichamps est l’un d’eux. Oui, Mesdames, Messieurs et les Autres, le centre géographique exact de la France trône sur un rond-point,

au cœur de l’activité économique du village.

(à propos d’activité économique, comment appelleriez-vous un salon de coiffure à Bruères-Allichamps ?)

Mais j’ai aussi visité le centre exact de Saint-Amand-Montrond et celui qui se trouve sur l’aire d’autoroute de l’A71 ; une aire à laquelle on peut accéder à vélo, oui. Il faut dire que l’autoroute n’est pas la plus fréquentée de France – ceci n’est PAS une photo de confinement, je l’ai prise mercredi vers 10h30 :

Je ne comprends pas que cette région soit si délaissée, voire méprisée ; en ce qui me concerne, j’y ai tout aimé (sauf, comme partout ailleurs, le sort fait aux animaux). Le bocage est magnifique

les lacs & forêts, pas mal du tout

d’ailleurs les coquets villages centraux- de-France connaissent leurs charmes et n’hésitent pas à les mettre en valeur en portant des T-shirts d’eux-mêmes

voire en hélant sans plus de façons les touristes de passage.

Ci-dessous, on aperçoit le château, l’église et le toboggan de Farges-Allichamps (l’aire de jeu possède un seul jeu, ce toboggan, ainsi qu’un panneau de signalétique pour cadrer l’usage dudit toboggan – la signalétique est dans le Cher comme ailleurs une calamité qui mériterait autant d’exposition médiatique que les punaises de lit).

J’ai aussi écrit sur Bach, sur Soizic, sur la pièce qu’elle a enregistrée à Noirlac, sur l’abbaye, etc. C’était une résidence intense, drôle, chaleureuse, variée, où j’ai ressenti un étonnant sentiment de liberté et d’épanouissement. J’ai aussi vécu un moment de grâce alors que je roulais à vélo dans la nuit noire, en l’absence d’éclairage public, entre l’abbaye et la maison que nous occupions, avec d’un côté le Cher et de l’autre la forêt.

(Photo prise à la sortie de Noirlac, à la lueur de ma lampe de vélo, pour prévenir Valentina qu’à partir de là, tout pouvait arriver)

J’entendais les animaux bouger autour de moi, sans les voir (sans rien voir, que des milliers d’étoiles). Je leur ai raconté mon aventure avec le sanglier de Bord-Louviers ; ainsi, ils savaient que j’étais là même si mon vélo ne faisait aucun bruit et ma propre voix, calme et posée, me réconfortait. Puis, alors que j’approchais de la civilisation (Bruère-Allichamps), Christophe (le photographe évoqué plus haut) m’a dépassée en voiture et il a klaxonné me rassurer. Il avait compris, je crois, que je vivais une grande aventure…

Merci à Charles de Mazeto Square et à Soizic de m’avoir fait confiance.

Spécimens sensibles

Il sort aujourd’hui. Spécimens sensibles ne sera pas dans toutes les librairies puisqu’il paraît dans une collection un peu particulière, Récits d’objets, coédition de Cambourakis avec le Musée des Confluences, mais vous pouvez le commander (pour la modique somme de 10 euros) dans la librairie indépendante de votre choix si elle ne l’a pas en stock. C’est un livre important pour moi, qui m’a permis d’aborder enfin de front le sujet qui m’occupe le plus, à savoir le spécisme – cet hyper-racisme sur lequel repose notre civilisation et dont les religions et Descartes ont posé les fondations.

La pièce que j’ai choisie dans les collections du musée, c’est ce canard empaillé très mis en scène.

Le livre fait un état des lieux de la taxidermie, pratique qui ces dernières décennies connaît un étonnant regain d’intérêt, notamment dans l’art contemporain. Ci-dessous, un taxidermiste en activité à Hénin-Beaumont.

Je raconte aussi l’histoire de sept canetons nés dans un bassin de rétention, à l’indifférence générale, et que j’ai essayé de sauver.

Le supermarché, la ville, les pompiers, les associations de défense des animaux n’ont rien fait, malgré mon insistance. C’était l’été 2022. Ironiquement, il y a quelques semaines est apparu, dans la ville coupable (que je ne cite pas dans le livre mais ici je peux bien le faire, il s’agit de Noyelles-sous-Lens) un panneau dont l’hypocrisie m’a laissée sans voix :

(Si vous lisez la dernière ligne, je tiens à vous détromper : non, Noyelles-sous-Lens ne se situe pas en région PACA, nous sommes bien dans les Hauts-de-France)

Car ces canetons sont nés à 300 mètres d’un l’étang, celui-là même où vivait autrefois mes regrettées Carrie et Ricah – ci-dessous maîtresses de chœur, en 2020.

Dans Spécimens sensibles, je questionne surtout les rapports d’homo sapiens aux autres espèces. J’évoque un problème majeur de notre époque, à savoir l’absence d’empathie – j’ai entendu à la radio qu’il y aurait bientôt des cours d’empathie à l’école. Comme si l’empathie était une valeur de type vive la république ou une ligne de conduite que l’on pourrait choisir d’activer ou pas.

Ce livre est un hommage à sept canetons et à un sanglier.

Une préface

Si j’ai reçu en avant-première le nouveau formidable nouveau recueil de Maud Joiret, c’est parce que j’ai eu l’honneur d’en écrire la préface. Pourquoi cette chance m’est-elle échue ? C’est une longue histoire, qui commence au mois de février au Comptoir du Livre, à Liège, où je suis en résidence avec ma chère Catherine Barsics et découvre la poésie de Maud. J’utilise deux pages de Jerk dans l’un des « chapitres » (voir ici la pile des « livres références »). Quelques mois plus tard, alors que je me rends au festival Leitura Furiosa, je vois dans le TER une inconnue lire Jerk, et j’envoie une photo volée à Maud. Quelques jours plus tard, j’ai le manuscrit de Marées vaches sous les yeux. Merci à Maud pour sa confiance, à Clément Ramos du Castor Astral et à l’inconnue du TER.

Ci-dessous, la jonction de ma préface et du préambule de Maud (déso pour mes ongles pleins de terre, je jardine à mains nues, ces jours-ci).

Permanent Draft à Bethesda

Comme j’en ai assez des grandes villes, a fortiori des capitales, j’ai demandé à Valentina de m’emmener dans des endroits bizarres. Jeudi, nous avons fait une performance au Pays de Galles dans le cadre du festival Ara Deg de l’adorable Gruff Rhys, en première partie de Rozi Plain.

Le festival avait lieu dans le village de Bethesda, près de Bangor. J’ai testé de nouveaux textes ; une quinzaine de personnes ont quitté la salle, d’autres ont beaucoup ri ; donc mes textes fonctionnent. En attendant d’éventuelles images de la performance, voici quelques photos des moments d’attente dans ces lieux dont Valentina ne m’a pas prédit à tort qu’ils seraient weiiiiiiiird – comme j’aime.

Promenade entre deux lacs avec Gruff, Rozi, son groupe et Valentina.

Petit déjeuner post-nuit quasi blanche dans le café (caffi) de Bethesda, où nous sommes arrivées en tacsi (ça c’est pour les mots qui ressemblent à ce qu’on connaît, le reste est strictement réservé aux Gallois).

Café au buffet de la gare de Bangor, que David Lynch adorerait.

Candles

Où je plane dans le ciel de Zebulon (club expérimental de Los Angeles) au son de Candles, extrait du premier album de V/Z (Valentina et Susumu), dont j’ai déjà parlé ici. La vidéo a été éditée et mise en ligne par Valentina hier soir.

Basta Now #6 Ghosts

Ce pourrait être la BO du manuscrit que je suis en train de finir, un roman de fantômes dont ce sera la troisième mouture, où le mystère s’insinue dans le quotidien, des inadaptées se rencontrent et des esprits tourmentés finissent par trouver la paix – ici, on l’entendra, ils vont jusqu’à danser sur un remix de Laura Cannell par Madame Nik Colk Void. Trois de ces titres figurent vraiment dans le roman. On peut écouter ici ce mix assez acrobatique (je superpose parfois jusqu’à trois pistes, comme dans le précédent Basta Now). Au programme :

Phantom Orchard Orchestra (Zeena Parkins, Ikue Mori, Maja Solveig Kjelstrup Ratjk, Hild Sofie Tafjord, Sara Parkins, Maggie Parkins & Shayna Dunkelman), Over the Gap;
LOONY, Summertime/Cigarettes;
Éliane Radigue, L’île re-sonante;
Pauline Oliveros, Ghostdance: Private Journeys;
Meredith Monk, Songs from the Hill: Prairie Ghost;
Meg Baird & Mary Lattimore, Ghost Forests: Between Two Worlds;
Lena Willikens, Phantom Delia;
Lana Del Rabies, Ghost;
Ectoplasm Girls, This Is;
Cucina Povera, Zoom 0005;
Sarah Davachi, Ghosts and All;
Bekah Simms, Jubilant Phantoms;
Ka Baird, Spiritus Operis;
Laura Cannell – Nik Colk Void remix, Closer to Heaven

Le Quartier

Le week-end dernier, j’ai participé au festival Leitura Furiosa, à Amiens. J’ai passé une journée à échanger avec des habitantes d’Amiens Nord, qui est ce que l’on appelait autrefois la ZUP, plus récemment la cité ; aujourd’hui, on dit le quartier. Chaïma, 16 ans, Maryam et Sarah, 19 ans et Laurence, 62 ans, étaient mes interlocutrices. De ce que nous nous sommes raconté (15 pages de notes), j’ai tiré ce texte de 3000 signes, comme le voulait la consigne :

Chaïma, Sarah, Maryam et Laurence vivent dans le Quartier. Elles appellent Amiens Nord Le Quartier. Pour elles, le Quartier, c’est Amiens et Amiens, c’est le Quartier. Quand quelqu’un d’extérieur passe par le Quartier, disons quelqu’un d’Ėtouvie, tu le remarques tout de suite. Comme un intrus chez toi.

On ne sort quasiment pas du Quartier. On fait surtout les courses au marché, peu dans les magasins. S’il y avait un Zara dans le Quartier, on ne sortirait pas du tout – sauf qu’il serait vite incendié : tout ce qu’il y a dans le Quartier finit par brûler.

Laurence ne rend pas souvent visite à sa mère : Moreuil n’est qu’à 30 minutes de voiture mais l’essence coûte cher. Le train ? Elle ne connaît pas le train, la pratique du train, elle s’endormirait, elle se réveillerait trop loin. Le bus, ça va, et il est gratuit le samedi.

Il y a de grands espaces verts autour de la barre où vit Maryam. On peut voir les rats courir sur les pelouses – et sous les voitures, ajoute Laurence, ils font la course sous les voitures. Mais Amiens n’est pas une ville verte, non, vous croyez ça si vous n’êtes pas d’ici. Les Hortillonnages sont une attraction touristique. Laurence va parfois à Shopping Promenade, un centre commercial arboré, en plein air : on n’est presque pas enfermé-e.

Les gens qui n’y vivent pas aiment beaucoup Amiens, s’amuse Chaïma, quoiqu’elle-même ne souhaite pas partir, contrairement à Sarah qui s’imagine plutôt à Lille, à Paris, pourquoi pas dans le Sud : une ville où il y a plus de choses. Partir loin de sa famille semblerait égoïste à Chaïma, d’ailleurs elle aime le Quartier. Elle ne pourrait pas vivre dans un voisinage calme.

Tous les soirs, elle retrouve ses amies et ses connaissances. Garçons et filles se mélangent, disputent une partie de foot, mangent un morceau, parlent et rient, rient de tout. Sauf les jours de fusillade. Sauf quand des ados sont tués. Le reste du temps, voir les jeunes narguer la police, à quatre sur un scooter, la fait rire aux éclats : les flics ne sont pas crédibles, ils ne savent même pas courir. C’est pas les mêmes qu’à la télé, admet Laurence.

La vie du Quartier a ses mœurs, qui ne sont pas celles du centre-ville. Vous ne trouverez jamais les gens du Quartier dans un bar : c’est une perte de temps. Mais pas le shopping ? Ben non, ce n’est pas une perte de temps puisqu’on achète des choses. Est-ce que parfois, les jeunes parlent d’écologie ? Le groupe s’esclaffe : Jamais !

Sur la planète, il y a la ville d’Amiens. On y trouve des quartiers chics et des quartiers chauds qui sont eux-même divisés en sous-quartiers, comme le précise Antonin du Relais Social. Dans chaque sous-quartier se côtoient des cultures et des langues différentes. Dans le Quartier, dit Amiens Nord, on connaît le racisme et l’exclusion, parfois on a la haine. On se comprend, on a vécu les mêmes situations, dit Chaïma, 16 ans. Alors on reste entre soi, on ne se mélange pas.

Basta Now # 5 Burnout

Le début de mon année a été aussi épuisant que passionnant ; je n’ai rien pu assimiler de ce que je vivais, tant tout s’enchaînait. Suis-je vraiment allée en Californie ? Sur la photo qui accompagne ce mix, nous sommes en vol vers elle ; à mon retour, j’allais filer directement de l’aéroport London Heathrow à la Villa Yourcenar pour une session Vertébrale(s), sans même repasser par chez moi, le cerveau ramolli par le jetlag. Pas le temps de me remémorer les deux semaines intenses entre Los Angeles et San Francisco. Et toute l’année, jusqu’au mois de mai, serait ainsi, sans répit, sans respiration. En février, j’ai commencé à sentir les signes du burn-out et je commence tout juste à me sentir mieux mais mon corps a pris dix ans.

J’ai essayé de traduire (avec humour) ce que j’ai ressenti pendant ces quelques mois dans le mix que voici. Des femmes pleurent, rient trop fort, crient, sifflent, des batteries s’emballent, des cuivres fondent. Je me suis beaucoup amusée : par moments, on entend trois morceaux simultanément, Jennifer Walshe et Ursula Häse semblent communiquer par yodel depuis deux sommets montagneux distants, Jennifer toujours elle et Yoko Ono se répondent dans une langue animale inconnue tandis qu’Anne Gillis sanglote et que Le Fruit Vert réprouve ces vanités des vanités des vanités des vanités des vanités des vanités des vanités. Je veux bien faire ça comme job : mixeuse. Pas DJ, non, ce que j’ai fait sur ce mix-là a plus à voir, au fond, avec les plunderphonics – sauf que je ne pars pas de chansons populaires mais de

Anne Gillis, Ondulatoires
Jennifer Walshe / The Dowager Marchylove, The Wasistas of Thereswhere
Bär&Hase, YodExpAli
Le Fruit Vert (Andrea Jane Cornell & Marie-Douce St-Jacques), La Castiglione
Yoko Ono, Fly
Carolyn Connors, I’m a Big Man
Valentina Magaletti, Untitled
Guylaine Cosseron, Dis-le
Ka Baird & Muyassar Kurdi, III
Shitney (Katrine Amsler, Maria Faust, Qarin Wikström), Do you Like it?
Susana Santos Silva & Alexandra Nilsson, Blue Noise
a.hop (Ryoko Akama, suzueri, Veronica Cerrotta, Anne-F Jacques, Bonnie Jones, Elizabeth Millar, Liew Niyomkarn, Lynette Quek, Valentina Villarroel Ambbiado), A Rhythm and Portrait Song
Kusum Normoyle, Octopus
Salomé Voegelin / Claire Rousay, Hating it

Les cahiers de la vacance ~ 1

Qu’il est beau, ce premier volume consacré à la Vacance poétique de la Perle, fabriqué main sur de beaux papiers, avec des illustrations de Victoria Dorche. On y retrouve des extraits des textes que Marion Renauld, Cédric Lerible et moi-même avons écrits l’été dernier – dans mon cas, le texte Ici bientôt – et une préface d’Anna Serra. Ce magnifique objet est l’œuvre d’Aude Caruana pour les éditions O. Merci Aude, Anna et Victoria d’avoir offert à nos textes un si somptueux écrin…

New River Studios

Fabuleux moments avec Permanent Draft et le quatuor éphémère EP64-63, réunis à New River Studios à Londres, avant-hier, pour fêter la parution de notre première cassette par une nouvelle impro collective hyper volcanique. Ci-dessous avec moi, de gauche à droite, Agathe, Karolina (notre super graphiste), Yoshino, Valentina et Dali.

Et les quatre musiciennes, savourant les ovations après leur concert surpuissant :