Regnéville, acte 2, jour 3

où comment une teubée des villes, après avoir miraculeusement échappé à la furie d’un sanglier dans la forêt de Bord, croit sa dernière heure venue dans les sables mouvants d’un estuaire. Mais prend des photos quand même (pas de selfie, remarquez bien, c’est une vieille teubée), de sorte qu’elle est en mesure de documenter l’affaire. Maintenant, elle repasse à la première personne, hop. Tout avait pourtant bien commencé, je suis sortie avant le lever du soleil sans penser suidé, j’ai fait des câlins de nez à un ami cheval et ri toute seule en revoyant Maurice, hier soir à la médiathèque d’Agneaux, me dire que j’avais l’air nombreuse là-dedans (il désignait sa tempe ; et bien sûr j’ai répondu que j’y étais en bonne compagnie). Sur la plage de Hauteville, les lumières étaient franchement pas mal.

J’ai décidé de regagner Regnéville par le havre plutôt que d’emprunter une fois encore la route qui passe par le château. Il suffisait de contourner la dune.

Facile.

De l’autre côté, la vue est chouette, oui, j’ai vraiment bien fait de passer par ici. Certes je m’étais juré, lors de mon premier séjour, de ne pas m’aventurer sur ce qui a tout l’air d’un bourbier avale-touristes, mais depuis le temps je suis presque d’ici, non ?

Et puis de près, on se rend compte que le sol n’est pas si effrayant. C’est de la végétation, Fanny, je me dis, il n’y a pas de végétation sur les sables mouvants (depuis l’enfance j’ai la terreur de ce machin, on m’a parlé du Mont Saint-Michel – qu’une mouette d’ici rejoindrait en trois minutes – et l’image est restée profondément imprimée dans mon générateur de phobies). Mais c’est quoi, en fait, ces espèces de creux qui veinent la verdure ? Oh mais ce sont des micro cours d’eau. Ce n’est pas grave, il y a une espèce de chemin, là. Quand je pose le pied sur ledit chemin, arrive le moment où je me parle à voix haute pour me rassurer – le propos per se n’est pas rassurant, seulement ma voix : « Ok, ce n’est pas un chemin pour les êtres vivants, c’est un chemin pour l’eau, c’est pourquoi il glisse tant ». Mais je parviens, en sautant au-dessus de ravines larges d’un mètre aux bords glissants, aux abords de Regnéville.

Et là, il y a comme une surprise.

Ok ce n’est pas très haut mais plein de végétation coupante et puis vous voyez comme les parois sont glissantes ? De la boue de sable. De la boue de sable, moi j’appelle ça des sables mouvants.

Je dois rebrousser chemin et sauter derechef au-dessus de ravines pour regagner la dune, mon raccourci a l’air stupide stupide et cependant la marée monte. Valentina dort encore, je suis seule au monde au milieu d’un très charmant traquenard de la nature, je ne pourrai même pas dire farewell my graceful punk, juste quitter ce monde dans un ultime plop. Je suis soulagée quand je parviens ici,

mais je m’enlise un peu plus loin, si près de la dune, si près… Quand je finis par rejoindre la route, je suis écarlate dans le vent glacé. Une dame à vélo et casque multicolore me lance, Bravo les sportifs ! Elle a bien compris, comme Maurice, que je suis plusieurs. Mais elle se trompe sur un point : sportive n’est pas le mot, c’est aventurière qui convient. Valentina me demande si elle peut dormir tranquille avec mes bêtises – et ensuite ce sera quoi, avant son premier café, un lion ? un iceberg ? Je fais des promesses. J’ai l’héroïsme facile. Je m’amuse bien. Les moutons me font une ovation.

Regnéville, acte 2, jour 2

Les voici, les splendeurs. Ces bébés ont bien poussé depuis le mois dernier…

J’ai retrouvé le plaisir de courir sans croiser quiconque pendant des kilomètres : la peur des sangliers (y compris des sangliers marins) commence à refluer. J’écoute des inédits de la femme qui m’a rendu mes 13 ans, tout ça fait de la beauté dedans et dehors en même temps, l’air est vif, on respire parfaitement.

Soudain, derrière la dune,

voici la Manche – et, de l’autre côté, cette fois c’est Valentina qui est dans le train. J’écris son nom dans le sable parce que j’ai 13 ans et elle me répond par des nuées de petits cœurs parce qu’elle a 13 ans. On respire bien.

On dirait qu’il n’y a jamais personne sur ces plages infinies. On respire bien. Mais maintenant, allons résider en attendant la nocturne d’Agneaux.

Regnéville, acte 2, jour 1

Après quatre trains et huit heures de voyage, je suis arrivée à Coutances. Je ne me plains pas, le voyage n’était pas désagréable, c’était un peu comme voyager avec elle, j’annotais le manuscrit d’une amie et parfois Valentina me disait, Regarde ça, lis ça, écoute ça, c’était joyeux, je pouvais presque sentir sa tête sur mon épaule parfois. Quand elle m’a envoyé ceci, j’ai éclaté de rire.

C’était tout à fait dans l’esprit de la perruque et des chausses argentées à talons compensés que je lui avais envoyés avant-hier. Arrivée à Regnéville, j’ai sauté sur mon vélo (sens de la propriété), filé à Montmartin acheter une bouteille pour Marianne et moi avant que le supermarché ne ferme. En chemin, j’ai constaté que les veaux ont incroyablement grandi en trois semaines : des splendeurs. Le lumière n’était pas propice aux photos, j’en prendrai demain. J’ai salué mes copains chevaux. La nuit tombait quand

je suis rentrée

à la maison

Ma chambre est au premier étage.

C’est parti pour deux semaines. Demain, rencontre à la médiathèque d’Agneaux à 20h30 (ouais, on est des noctambules, nous, ici).

3 jours

Elles et Eliot vont me manquer. Cette petite assemblée de personnalités inhabituelles. Nous avons passé trois jours en échanges incessants sur les processus de création, trois jours de discussions sans fin. Quelqu’un m’a dit que, depuis la salle, on entendait les rires qui provenaient de mon « cabinet » et qu’on se demandait ce qui se disait, là-dedans. C’était le son des univers qui s’étiraient, qui faisaient craquer leurs articulations, qui se demandaient ce qui viendrait ensuite – et cette question ne trouvera jamais de réponse, heureusement.

Après cette photo souvenir, nous avons de nouveau envahi un bistrot, cette fois nous étions 17 et nous avons bu 17 thés à la menthe. Puis j’ai eu le bonheur de retrouver mon amie Mel, que je n’avais pas vue depuis six ans <3

Workshop+NPR 100 de Fatima

C’est un atelier en français mais on dit workshop ; c’est dans mon air du temps. Je vais rencontrer des étudiants en Master de création littéraire (du Havre) et on a rendez-vous, hier matin, à la Maison de la Poésie de Paris. Dans le train, j’écris aux délices de mon cœur, I’m smiling constantly, ce qui me remémore une chanson de Dry Cleaning, c’est donc avec l’album New Long Leg (ça faisait longtemps) que je décide de marcher-danser vers ma destination. Comme j’arrive tôt, j’ai largement le temps de faire un petit détour par le square Montholon pour laisser un mot à ma bienfaitrice Fatima ; appelons-le NPR 100 (101 sera l’occasion de festivités). J’ai préféré écrire son prénom en lettres capitales pour avoir une chance qu’elle le remarque en passant.

Ensuite je bois un café avec Frédéric Forte, le poète / professeur qui m’invite à ce workshop en langue française et c’est super, il a le même rapport que moi à la musique, il connaît même certains groupes de celle qui occupe mes pensées comme le poussin occupe l’œuf (il s’agit d’un poussin qui danse, chante et joue des maracas). Puis je rencontre la quinzaine de jeunes gens qui se sont portés volontaires pour ces trois jours en ma compagnie et nous investissons différentes salles de la MdP. Ci-dessous, les premières découvrent les lieux avec enthousiasme.

Je les verrai une par une + Eliot, au long des deux premiers jours, une demi-heure chacun.e, comme un médecin – oui, une spécialiste de la densité du réel. Ils s’inscrivent ici et moi,

je les reçois dans une loge, que j’ai choisie pour des raisons assez évidentes… Ces jeunes gens sont déjà des écrivains et les questionnements des un.es et des autres sont assez intéressants pour que j’en ressorte enrichie et stimulée. Cependant, il n’est pas si facile d’enchaîner les échanges sur des univers si différents, un peu comme lire des livres à la chaîne quand on fait partie du jury d’un prix littéraire – je parle d’expérience, j’imagine que le quotidien d’un.e éditeur.rice ressemble un peu à ça. Par exemple, je dis à l’une que son texte manque d’ossature et suggère à la suivante de supprimer du sien tout commentaire, Nous te suivrons sans signalétique. Je sors donc ravie mais lessivée de cette première journée.

Je vais boire des verres avec mon amie Maud Thiria. Il y a un lien très particulier entre les poète.sse.s de ma promo à la Factorie ; ce que nous avons vécu était si intense que nous nous connaissons depuis toujours, moins de deux mois plus tard. C’est facile de se retrouver, de reprendre les discussions sans fin, les confidences sans pudeur, les rires spontanés. Nous sommes tellement sympathiques que le serveur nous offre un verre au moment où nous allons partir.

Puis comme tous les soirs depuis une semaine, j’explore le paradis en anglais jusque tard dans la nuit et, ce matin, après trois heures de sommeil, je signale à l’hôtel qu’I can’t find the tea bags, ce qui n’est pas sans m’évoquer mon entrée ridicule, la semaine dernière, dans la boutique d’un opticien qui n’était pas celle où j’avais rendez-vous. Vous avez l’air perdue, a dit le Monsieur tandis que je jaugeais les lieux avec perplexité. Il était temps, a-t-il ajouté. Ce n’est pas ce que vous croyez, cher Monsieur.

NPR 99 d’esclavage

Non, je n’ai pas décidé de reprendre les Nouveaux Processus Réversibles à plein régime. Simplement, ce matin, je courais sur la véloroute qui a vu le plus gros de mon activité poétique in situ l’année dernière et soudain, j’ai vu qu’il y avait un petit mot collé sur un poteau. Quelqu’un avait-il décidé de prendre la relève ? Mais non, c’était juste un autocollant pseudo politique : « RETIRE TON MASQUE / RÉVEILLE-TOI !! / TU ES UN ESCLAVE ?? »

Je ne suis pas pour les restrictions de liberté, non – je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de citoyens qui rêvent d’être privés de leur libre arbitre, en fait. Mais… tout est dans ma réponse, mon NPR le plus bavard ever, je crois bien :

Au fil de la Souchez

Je vous en parlais ici : pendant deux ans, j’ai fait écrire des randonneurs liévinois tandis que la plasticienne et graphiste Oréli Paskal les faisait dessiner. Nous avons choisi de suivre une petite rivière qui, après son passage dans une buse sous la ville de Lens, se transforme en canal : la Souchez. Nous avons donc marché, puis les participant.e.s nous envoyaient leurs devoirs, que nous mettions en forme. Ce formidable petit groupe plein d’énergie, d’humour et de talent, attachant et haut en couleurs, n’a pas seulement produit une carte sensible mais aussi un carnet de route. Hier soir, ces super hurluberlus se sont réunis pour fêter la réception de ces beaux objets, qui seront distribués dans les quelques villes traversées par notre rivière super star. Nous ne comptons pas en rester là et avons hâte de nous lancer dans l’exploration d’un bassin minier insolite – dont les maisons penchées de Grenay (vues ici) seront assurément un beau défi pour les dessinateurs. (Comme tout le monde a l’air sage, sur cette photo… Comme c’est trompeur…)

Merci à Oréli pour les photos ci-dessous. D’abord, la carte proprement dite.

Son verso.

Le livret.

Ci-dessous, trois photos que j’ai prises avec les moyens du bord (une seule main, donc) pour vous donner un aperçu de la mise en page et des productions de nos incroyables artistes.

Ici, mon amie Marie-Thérèse et moi répétons nos lectures avant le début des festivités.

Ici ma mère lit, mon amie Hélène est très concentrée mais Élisabeth et Marc, pas tellement.

Le genre d’ambiance dans laquelle nous avons travaillé puis fêté notre travail…

Même s’il y a eu des moments plus solennels – ici, on voit à mon air aimable que je ne suis pas super fan du pont de contournement (alors en construction) de Courrières.

Tribu

Dans ma boîte aux lettres ce midi, le nouveau roman de mon amie Nat Yot, avec une dédicace et des remerciements qui m’ont beaucoup émue.

Par coïncidence, l’implacable et la réconfortante se rencontreront en mai aux Fours à Chaux de Regnéville, où elles seront toutes deux en résidence.

(Nat et moi faisant les andouilles pour notre amie IBL au marché de la poésie, édition 2021.)

/ 3 : divination batelière

Hier, je me suis octroyé un RTT pour me rendre à Lille à vélo par les chemins de halage. Je n’avais pas eu l’occasion de les emprunter depuis longtemps et les parcourir était un tel bonheur que je suis devenue quelque peu lyrique, me disant, Ce monde est mon monde – non pas le mien exclusivement, comprenez-moi bien, mais aussi le mien ; je me sens la plupart du temps si peu à ma place que ces épiphanies me sont terriblement précieuses. J’ai croisé un grand nombre de péniches, certaines que je connaissais déjà, et cinq que je n’avais jamais vues. Passons sur Cadillac et Njörd. Les trois qui m’ont interpellée sont celles-ci :

Novateur… Quel drôle de nom pour une péniche, me suis-je dit, sans plus, et je n’ai pas davantage réagi quand j’ai croisé Vaya Con Dios (il m’en faut plus qu’à l’époque où j’aimais voir un bon présage quand je croisais Bon Espoir, Serenitas ou Good Luck),

mais quand Futura est venue insister, j’ai compris que ces péniches m’annonçaient quelque chose. « C’est bientôt », me souriaient-elles. Très bien, je suis prête. Je l’étais tellement hier soir que j’ai été surprise de ne pas rencontrer le grand amour dans le bar où je retrouvais des amies – et où la moyenne d’âge hélas était de 26,5 ans – puisque pour le reste, j’ai tout ce qu’il me faut. Comme le dit la chanson des Gershwin,

Somebody loves me
I wonder who
I wonder who she can be

Un allié (encore une histoire de suidés)

Je suis tombée sur un article du naturaliste Pierre Rigaux et j’en ai les larmes aux yeux : je ne suis donc pas une illuminée ou une idéaliste. L’article est ici et voici sa conclusion :

« Le nombre faramineux de sangliers abattus chaque année* est la conséquence mal maîtrisée d’une volonté politique et historique de disposer d’une abondance de « gibier » à « réguler » par la chasse de loisir.

Dans l’inconscient collectif, le cas du sanglier permet au lobby cynégétique de justifier son rôle plus que discutable de « régulateur de la faune sauvage ».

Pourtant, les sangliers représentent à peine 1 à 2% de la totalité des animaux tués à la chasse en France.

Une majorité de ces animaux est issue, soit d’élevages de « gibiers », soit de populations sauvages en déclin ou ne nécessitant aucunement d’être « régulées ».

  • Ne faudrait-il pas changer de paradigme ?
  • Est-ce sensé de continuer à réfléchir en termes de tirs et d’activité de loisir ?
  • N’y a-t-il pas d’autres voies scientifiques et techniques à explorer ?
  • Est-ce raisonnable d’abattre massivement des sangliers parce qu’ils abîment des champs de maïs destinés à des élevages intensifs dont nous n’avons nullement besoin pour notre alimentation ?
  • Ne devrait-on pas refonder notre relation au vivant sur la base d’un meilleur respect des animaux, qu’ils soient sauvages ou domestiques ? »

* Plus de 600 000 sangliers sont abattus chaque année en France, au nom de la « régulation ».

(Photo de Luc Souret, par le biais de laquelle j’ai trouvé cet article qui devrait être très largement diffusé – oui, je regarde des photos de sangliers / laies / marcassins pour mon loisir, et alors ? Quelles splendeurs…)

Merci Pierre Rigaux, que le monde vous entende…