37 passages à niveau

Vous êtes 37 à me réclamer bruyamment le petit travail photo dont je vous annonçais au mois de mai qu’il serait prêt en septembre 2019. Je suis tellement impressionnée par votre mémoire et touchée par l’intérêt que vous témoignez à mes modestes productions que, pour une fois, je vais tenir ma promesse. Voici, en hommage à ces 37 zélateurs, 37 photos d’un passage à niveau prises entre septembre 2018 et ce jour, au fil de mes courses à pied – soit un palpitant reportage sur le temps qui passe. Les photos sont de mauvaise qualité, puisqu’elles ont été prises avec un téléphone, mais je ne rembourserai rien ; il n’y aura pas non plus de Grand Jeu Concours pour localiser ce lieu auquel j’ai choisi de rendre hommage tout au long de l’année qui vient de s’écouler, vous pourriez le déduire trop facilement du billet dont je fournis le lien plus haut. N’abusez tout de même pas de ma générosité.

Parfois, il y a même de petits événements – autres que le passage d’un train. Ici, une joggeuse est passée juste avant que la barrière ne se baisse : c’est presque une narration.

Si vous avez 10/10 aux deux yeux ou de bonnes lunettes et que vous ne regardez pas ces images sur un foutu écran de téléphone, vous distinguerez un TGV en train de passer sur le talus qui ferme l’horizon.

Hop, un peu de recul :

Là, une voiture brûlée, JMJ !

Un promeneur nocturne.

On pivote légèrement vers la gauche.

Mais oui, c’est un tracteur…

Si vous avez toujours 10/10 aux deux yeux ou fait l’acquisition de bonnes lunettes depuis la photo 19 et que vous êtes passé.e sur un écran digne de ce nom, vous distinguerez un TGV en train de filer sur le talus qui ferme l’horizon.

Vous avez bien lu, sur le panneau ci-dessus : Un train peut en cacher un autre. La preuve.

Et parce que je sais que, tout comme moi, vous avez des plaisirs simples, je vous propose de finir cette série par de traditionnelles Jambes en l’Air – qu’elles soient un au revoir ému à ce qui fut l’un de mes sites privilégiés, la dernière année de ma vie dans la métropole lilloise.

I <3 Scln

Je suis tombée amoureuse de mon nouveau bolide, un vélo rouge qui saute comme un cabri dans les bois et les champs. Et, de fil en aiguille, je suis tombée amoureuse de Seclin. Il me faut d’abord m’excuser d’avoir incorrectement nommé la ZI (ou ZAC) de l’Épinette ASPUZI, dans de précédents billets, quand j’ignorais encore que Seclin était la ville de DEUX zones industrielles : double bonheur, surtout le dimanche – ça tombe bien, parce que le dimanche les berges du canal sont infréquentables, entre les campings sauvages de pêcheurs en tente kaki, les marcheurs nordiques, joggeurs fluorescents et cyclistes coqués coquets. Ici, il n’y a que moi, le dimanche. Le samedi soir, c’est sans doute différent, à en juger par les traces de beaucoup fun devant les hangars :

Le dimanche, tout n’est que lignes pures, jeux de lumière et délectable désolation.

Mais ASPUZI, the real ASPUZI, c’est aussi la couleur et la danse :

ASPUZI est l’antichambre de Seclin. Maintenant, entrons dans le vif du sujet. Quelques chiffres, pour commencer : Seclin, c’est 17,42 km² pour 12 463 habitants (2016), soit une densité de 715 hab./km². Si ça ne vous parle pas, Sallaumines (l’étalon-or de ce blog), c’est 3,82 km² pour 9 799 habitants, soit une densité de 2 565 hab./km². See what I mean? (Ok, il faudrait faire le calcul en décomptant les hectares non habités des ZI, je l’admets sans mauvaise foi, mais dans ce cas il faudrait en faire autant pour la déchetterie de Sallaumines.) Notez qu’en termes de Ville Fleurie, nous sommes à Seclin 3 fleurs – Sallaumines 1.

Le canal de Seclin n’y est sans doute pas pour rien, bien sûr, qui rejoint perpendiculairement la Deûle à Houplin-Ancoisne, 4,5 km à l’ouest.

Les oiseaux d’eau y vivent en harmonie, comme à Harnes.

Il y a aussi des ragondins et des fantômes.

Seclin est connue pour ses châteaux. Sauf que, Grand Jeu Concours ! un seul des trois châteaux ci-dessous en est vraiment un : lequel est-ce ? Question 2 : L’un de ces châteaux n’est pas sis à Seclin mais à Templemars, à quelques pas de la frontière. Duquel s’agit-il ?

Cette tendance au faste n’exclut ni les ZUP

(vue de l’ouest)

(vue du sud)

ni les arrière-mondes :

ni les Upper Rooms & Kitchens de carrefours et ronds-points :

(abbé Bonpain de carrefour)

(Jésus Christ de rond-point)

ni le Kitsch & Lutte des Classes – Grand Jeu Concours 2 ! Laquelle de ces œuvres n’est pas une boîte aux lettres de Seclin mais de Carvin (autre passion récente) ?

L’art, ce n’est pas ce qui manque, à Seclin : mural

et de rond-point (ici, la couleur s’impose, vous allez le comprendre)

Cette dernière œuvre de rond-point nous amène dans mon lotissement préféré de la ville : les Aviateurs. J’adore. D’autant que, si de nombreux-ses Seclinois-e-s me témoignent volontiers une certaine hostilité, les Aviateurs-trices me traitent généralement comme une des leurs – sans collier de fleurs ni tralala. Voici un plan du quartier : un vrai crop circle, à l’américaine, quoique l’on ne s’y perde pas trop.

Le lotissement fait face à l’hôpital de Seclin, le nouveau, un hôpital intéressant, paradoxal, à la fois hôpital de campagne puisque l’on peut notamment y accéder par des chemins de tracteurs, quoique par ailleurs il fasse preuve d’une belle géométrie :

Une vue du parking s’impose également :

Attention, chien méchant et volumineux juste derrière cette rangée de maisons, il m’a poursuivie l’autre jour et j’étais bien contente d’être juchée sur Mon Bolide, dont on aurait dit qu’il pétaradait comme un bolide des Fous du volant mais en fait c’était le claquement de mes dents. Maintenant, voyons comment les Aviateurs se présentent depuis l’hôpital.

On voit plein d’avions dans le ciel aussi, à Seclin, bien plus qu’à Lesquin si vous voulez tout savoir,

et d’autres objets volants

et des sommets intéressants, quoiqu’ils ne volent pas,

et aussi des tunnels : ici, on en a plein les yeux, dessus et dessous.

Pour finir, un peu d’architecture (ici, l’arrière de l’hôtel de ville),

d’urbanisme (cité des jardins)

(ça ressemble à ça)

et de presque la campagne

Voilà, entre autres choses, pourquoi i <3 tant Scln.

Des mini-golfs

Ce mini-golf est sis à Pont-à-Meurchin : il est véritablement traversé par la limite entre les villes de Pont-à-Vendin et de Meurchin. Soit il s’agit d’un golf à 17 trous soit mon esprit est trop plié à la logique des nombres premiers pour que mon regard ait perçu le dix-huitième. Depuis que je me suis documentée sur ce noble sport, Le Bon Coin me suggère d’en acheter un chaque fois que je consulte les annonces immobilières, c’est-à-dire très souvent (je me casse dans le bassin minier – si ça ne tenait qu’à moi, je serais gone sur l’avant-jour, comme disent les Cajuns), et il est vrai que c’est tentant mais le prix (comptez entre 5 et 20 000 euros) décourage l’achat impulsif.

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Qu’est-ce que c’est ?

Non, ce n’est pas un film américain post-apocalyptique, c’est Montigny-en-Gohelle. Ci-dessus, en vue immersive sur le service de cartographie en ligne, ci-dessous non. Et c’est, rien que pour vous, 17 images du bonheur dans le bassin minier (la précédente ne compte pas, elle n’est pas de moi mais d’un Tobe Hooper minier).

Toujours à Montigny, face à la station-service et aux supermarchés incendiés, éventrés, noyés sous les déchets, ces Rideaux et Voilages remarquables sans esbroufe ni dauphins.

Depuis le 23 mai, je poursuis mon projet poétique en forme de road-trip cycliste. Je descends chaque fois à une gare différente avec mon vélo, je me perds et je découvre. 40 km par jour sur un biclou en fin de carrière, sous le soleil qui fait cloquer l’hélix de mon oreille droite. Je pédale dans un autre espace-temps. Si par exemple vous déplorez la mort des petits commerces et des centres-villes, c’est parce que vous n’allez pas à Billy-Montigny, où les années 1980 n’ont pas pris fin. Ameublement et décoration,

chaussures et prêt-à-porter, il y a tout ce que vous voulez.

Moins à Fouquières-lès-Lens.

Encore que. Si j’avais su écouter le trottoir, j’aurais enfilé ces protège-oreilles, bien qu’il fît 35 degrés ce jour-là, et des cloques ne darderaient pas sur mon hélix. Je n’ai pas voulu croire que c’était ce dont j’avais besoin.

Dans le bassin minier, on ne trouve pas que les années 1980 ; il y a aussi la modernité – c’est à Meurchin.

Ainsi le cycle de la vie suit-il son cours. Ci dessous, des bébés cygnes de Wingles.

Comme moi, la nature est heureuse ici. J’en veux pour preuve ce champ de colza et de coquelicots à Annay (≠ en Annay).

Gloire à Annay (≠ d’Annay) !

Les surprises jaillissent à chaque tour de roue. Un exemple : après le jardin des voitures brûlées à Hénin-Beaumont,

au fond de ce qui est une impasse pour les véhicules motorisés, il suffit de traverser la voie ferrée

pour déboucher dans le parc des Îles, et là laissez-moi vous dire que le roi n’est pas notre cousin. De quoi danser de joie devant les escaliers. Yee-haw !

Un autre jour (passé comme les couleurs de cette affiche livrée aux intempéries à Noyelles-sous-Lens), on pouvait se rendre au salon du bien-être et de / par (?) la voyance. Mais à quoi bon la voyance quand le bien-être est juste là et ne demande qu’à être vu, saisi au vol par l’œil disponible, alerte, brillant de gratitude ?

Et personne n’est laissé de côté, comme on le voit dans ce parc des mêmes Noyelles (est-ce un Noyelle ou une Noyelle ?) au bord de l’autoroute dite rocade minière.

Tout cela est tellement excitant que l’on peut dire, waouh,

Mais l’endroit que je préfère et où je tiens ma permanence poétique, c’est ce parc de Sallaumines. Je m’y sens comme chez moi, quelque part entre la déchetterie, un lotissement et l’autoroute. Il ne s’y passe jamais rien = Il s’y passe toujours quelque chose. Dimanche, une pie a poursuivi un chat en le narguant, je le jure.

5 arrière-mondes (1) : au sud-est de la métropole lilloise

Les arrière-mondes que je vous présente ici se situent dans un périmètre de moins de cinq kilomètres-carrés. Ils ne communiquent pas ensemble et diffèrent tant, dans l’esprit, que quand on en traverse un, on se sent très loin des autres. Je les ordonne dans un sens de lecture classique, de haut en bas et de gauche à droite, autrement dit vers le sud-est. J’aurais aussi pu les classer dans l’ordre du plus accueillant au plus inquiétant, auquel cas le dernier resterait le dernier.

1. Suivez-moi. Passez les grilles et les blocs de béton qui voudraient obstruer le tunnel. Entrez dans le tunnel. N’ayez pas peur. De quoi s’agit-il ? D’une autoroute à l’abandon ? D’une voie ferrée ?

Cent mètres plus loin, voici le paysage que vous découvrez. Les éléments présents à l’image ne vous permettent pas de répondre à la question précédente, j’en ai conscience.

Sous cet angle-là non plus, je suppose.

Tant mieux : je n’aimerais pas provoquer un afflux de touristes dans ce lieu relativement préservé, à quelques décharges près.

Car il mène à des paysages inattendus : à presque la campagne – au loin, vous reconnaîtrez deux des tours Europe dont j’ai déjà dit, ici-même, combien elles me fascinent.

Vous longez le champ et, à votre gauche, se déploie un site ferroviaire désaffecté qui, quoique sous vidéo-surveillance, vous épargne les chiens, la police et autres milices. Du moins y ai-je échappé à chacune de mes visites.

Je n’ai pas récupéré d’isolateurs de caténaires pour décorer mon salon parce que c’est trop lourd pour la capuche de mon K-way, mais il y a l’embarras du choix : verre, céramique, petit modèle ou grand modèle.

Idem pour les nombres premiers : difficiles à transporter – puisque cloués dans des traverses.

Puis, sans barrière ni transition, vous parvenez à un dépôt ferroviaire qui n’est pas du tout désaffecté.

Fin de l’arrière-monde 1.

2. De part et d’autre de l’autoroute A27, deux arrières-mondes apportent un éventail d’étrangetés intéressant (quoique pas inépuisable). Il s’agit de zones infréquentées, sinon par des centaines de lapins et de lièvres.

Ma passion pour les plans de villes m’a longtemps tenue à distance des vues satellite mais j’ai appris à les apprécier depuis que je me suis prise de passion pour les arrière-mondes : elles permettent une vue d’ensemble sur des espaces dont on ne pourrait se représenter l’agencement à la seule force des jambes et de l’intuition qu’elles nous en donnent, en particulier des espaces qui ne sont pas tout à fait urbains (bois, carrières, etc.), voire qui ne sont pas tout à fait accessibles.

a. au nord de l’A27

Pour commencer, voici un arrière-monde interstitiel entre trois terrains de jeu réservés à la bourgeoisie : un centre hippique, un terrain de golf et un complexe motocycliste. L’on peut y pénétrer à divers points ; en sortir est plus compliqué. Certaines parties sont ouvertes sur l’avant-monde, comme on le voit ci-dessous.

Certains aménagements peuvent faire croire, fallacieusement, que l’on s’apprête à entrer dans un espace balisé.

Mais non. Là-haut, les sentiers sont extrêmement étroits, certains totalement obstrués par la végétation et notamment par les orties. Les lapins y bondissent de toutes parts.

Depuis ce promontoire, qui avance dans la verdure à la manière d’une digue, l’on peut apercevoir, d’un côté, le terrain de golf,

et de l’autre le complexe motocycliste dont vous avez pu voir le tracé sinueux sur le plan.

b. au sud de l’A27

Il y a bien des manières d’atteindre cet arrière-monde à presque la campagne. L’une de mes préférées consiste en un chemin étroit serti entre l’autoroute A1 et un champ ; un arbre déraciné cet hiver par une tempête est sa dernière cicatrice en date, elle oblige à faire un petit saut de cabri bien agréable entre deux foulées ; sur le talus qui descend vers le champ, de la monnaie du pape en abondance.

On n’est pas censé passer devant cette grille (qui mène selon toute vraisemblance à l’autoroute) ; il fallait tourner à droite plus tôt. Demi-tour, hop.

Un peu plus loin, on traverse ce passage à niveau agreste, autour duquel je prépare depuis le mois de septembre 2018 un petit travail photo que je vous livrerai en septembre 2019.

Vous n’y verrez pas ceci parce que ce n’est pas dans le bon sens.

Ici, comme ailleurs, les délinquant-e-s aiment démonter des voitures. Ça se passe sans doute la nuit, quand je ne cours pas là.

Dans le champ il y a deux bunkers

et dans les bunkers il y a du champêtre – un doux mélange d’orties et de barres de fer rouillé.

Tout au fond du champ, une série de buttes à lapins masque partiellement une voie de TGV.

On peut y accéder si on n’a rien de prévu ces prochaines années.

Ou on peut monter sur la butte, si on n’a pas peur de se faire broyer le pied par un piège destiné aux lapins, car cet arrière-monde n’est pas un paradis, l’on y trouve des chasseurs et des pièges posés par eux. J’en ai vu un cet hiver, un grand crétin qui visait l’entrée d’un terrier, prêt à faire exploser une tête de lapin pour son loisir. Il a baissé son fusil pour me laisser passer mais je ne l’ai pas regardé pour éviter de lui vomir dessus ou de retourner son arme contre lui. Si l’on accepte de prendre les mêmes risques que les lapins, on peut surplomber les champs et la voie de TGV.

On monte par là, comme ça

et après on peut regarder en bas, c’est chouette.

Sans ces raclures de chasseurs, le paradis des lapins et des lièvres ressemblerait un peu à ça (on s’y amuse comme des fous, ces temps-ci).

3. Pas très loin d’un ancien centre de tri postal et de son arrêt ferroviaire désaffecté,

un caddie brûlé nous invite à pénétrer dans un lieu bien protégé des intrusion par des blocs de béton et bittes chromées

On accède à ça. Ce n’est pas spectaculaire, de prime abord, je vous l’accorde

mais à y regarder de plus près c’est carrément un lieu d’art contemporain

et de multiples vernissages – vous trouverez ci-dessous des résidus de fêtes mais aussi de mon ancienne rubrique consacrée aux sols.

4. Nous sommes dans la même ville, à peine un kilomètre au sud-est de l’arrière-monde n°2b ci-dessus. Nous l’atteignons après avoir traversé un parc d’activité différent de celui que nous présentions à l’instant – bien plus étendu. Nous en apercevons un bâtiment de tôle, en arrière-plan de ce petit chemin qui ne sent pas la noisette.

Ai-je déjà mentionné le fait que l’arrière-monde n’était pas seulement le théâtre de fêtes écologiquement inoubliables mais aussi un espace de décharge très apprécié ? Quoique bien plus difficile d’accès que les déchetteries, on s’aperçoit qu’il est convoité par un certain nombre d’entrepreneurs de BTP, de garagistes et de familles désunies (nous y reviendrons dans des numéros spéciaux de la rubrique L’arrière-monde).

Cette fois nous passons sous le TGV (le même) : ça change.

Des peintures rupestres nous avertissent de ce qui nous attend de l’autre côté du portique.

C’est, avant tout, une puanteur rare, non pas celle du fumier mais celle du liquide noir de nature indéfinissable qui constitue les flaques ci-dessous.

Quand on a traversé les champs glauques de cet arrière-monde, l’on débouche sur un pont qui surplombe l’autoroute. Les arrière-mondes ont toujours quelque chose à voir avec les autoroutes et les voies de chemin de fer, particulièrement de TGV.

Normal, me direz-vous, c’est le principe même des espaces interstitiels. Et puisqu’on en parle, quelques éléments visuels indissociables de ces derniers :

Quelques arrière-mondes (2) : au nord de la métropole lilloise

Parfois, une rue joue au bout du monde toute seule. C’est le cas de cette rue infréquentée, absolument dépourvue d’habitations et très peu pourvue en activités, si l’on exclut la cimenterie représentée par la boucle sur le plan ci-dessous. Elle a cependant des fonctions : elle sépare le canal d’une friche où même les voies ferrées s’interrompent, et l’on y trouve l’une des frontières entre deux villes. C’est un arrière-monde qui divise sans en avoir l’air.

Un long mur de béton borde la rue, à l’ouest, côté friche. Il attire étrangement peu de street artists. Certains pans sont particulièrement dégradés.

Trace d’une activité artistique ancienne dans la rue, ce visage au pochoir presque effacé.

L’impasse que l’on devine sur le plan ressemble à ceci. C’est plus que décevant, carrément injuste : encore une friche dont personne n’a que faire mais dont l’accès nous est interdit, à nous que les arrière-mondes comblent de joie.

Incongrue, à l’entrée de la cimenterie, cette locomotive abandonnée sur un bloc de pierre. Si j’avais disposé d’une capuche, j’aurais été tentée de l’emporter ; mais alors j’aurais eu l’impression de diminuer un peu ce territoire secret.

Maintenant, intéressons-nous à l’est de la rue : de l’autre côté du canal, contrairement aux apparences, cette usine n’est pas désaffectée (comme l’est en revanche la plus illustre et impressionnante de ses voisines, ancienne minoterie située à 300 mètres d’ici, à vol d’oiseau, et dont je ne mentionnerai pas le nom, pour stimuler votre curiosité).

Il est extrêmement facile de s’approcher du canal, les grilles qui en condamnent l’accès étant du genre symbolique. Cela dit, ce n’est pas comme s’il y avait des millions de choses passionnantes à voir, de l’autre côté.

Il y a quand même des Schtroumpfs et des puzzles. Il fallait y penser. Je veux dire, à venir les déposer ici.

Il y a aussi des trucs brisés, bien sûr, il y en a toujours.

Loos-Sequedin : des arrière-mondes variés

L’arrière-monde a ses cornes d’abondance ; ce matin, j’ai connu l’extase la plus pure en traversant l’un de ces paradis interstitiels – écoutez-moi bien : une voie ferrée dévolue au transport de marchandises et matériaux, une pincée de splendeur passée, un petit chemin qui ne sent pas la noisette, des friches à perte de vue, des monticules de détritus, un canal, une cimenterie, des portiques de déchargement, un poste électrique et une ancienne prison. JMJ, j’ai senti une faiblesse musculaire dans mes mollets nus tant l’émotion était forte. J’avais trop longtemps négligé les charmes vénéneux de l’arrière-monde au profit de presque la campagne et cette course à pied m’a rappelé que j’avais largement de quoi m’occuper dans la métropole lilloise pendant la saison de chasse. Il y avait même un arbre foudroyé, le soleil avait l’air sale et tout macérait dans une telle humidité que l’été semblait ne jamais avoir existé. Froh, froh, wie seine Sonnen seine Sonnen flie-iegen, froh wie seine Sonnen fliegen durch des Himmels prächt’gen Plan !

La voie ferrée – elle mène, à l’est, au port de Lille

Splendeur et décadence

Typiquement ce genre de pivot paysager plein de promesses, où je commence à faire des claquettes dans les flaques

L’ancienne prison de Loos / Sequedin, derrière une friche (+ un canal mais ça, on ne le sait pas encore)

Un court segment de ce petit chemin qui ne sent pas la noisette ; à droite, tout n’est que tags et détritus (je vous épargne ces derniers, ne me remerciez pas), à gauche, ronces impénétrables

Un pan d’usine de produits chimiques

Une cimenterie

Un portique de déchargement

Un poste électrique (+ poule d’eau)

Deux fragments de mur au milieu des herbes noires, devant l’ancienne prison (wtf ? comme disent les jeunes)

Encore la prison : ici, l’ancienne grille d’entrée (sans doute aussi de sortie)

La voie ferrée vue d’un pont (qui passe aussi au-dessus de l’A25)

BONUS : Où est Kennedy ?

Cysoing-Cobrieux

Vous connaissez mon goût pour les voies ferrées désaffectées (voir mes National Geo à Charleroi, Maubeuge ou Rotterdam), eh bien aujourd’hui je suis allée à Cysoing.

J’ai vu le modestement auto-proclamé Paradis. J’ai demandé à un couple de personnes très âgées, qui marchaient plus lentement que ne glissaient les canards sur les bassins du château, de bien vouloir m’indiquer la place de la gare. Monsieur était très heureux de me renseigner, il m’a rappelée trois fois en me disant : Attendez ! Encore plus court : vous passez par ici, puis vous traversez ceci et cela, puis ce sera trois fois à gauche. J’ai serré mes bienfaiteurs dans mes bras puis je suis partie à l’aventure.

J’ai trouvé la gare. Herbe de la pampa sur le quai, plantes ligneuses en pagaille sous l’abri en plexiglas – dont une affiche déteinte pour le TGV, grande innovation, décore une paroi latérale.

Je me suis engagée sur la voie ferrée condamnée (bien évidemment interdite au public, comme tous les lieux les plus intéressants) en direction de Cobrieux. Ici, vous remarquerez un guet-apens de western et, si vous avez l’œil aiguisé, un tourbillon de feuilles mortes.

J’ai traversé des champs qui ondulaient dans le contrejour (oui, j’aime les contrejours, qu’est-ce que ça peut faire ?)

Les bois aussi, je les aime à contrejour, et les usines, les filets qui enclosent les stades et les clochers, mais là ce sont des bois.

Quelquefois aussi, j’aime bien prendre les photos dans le bon sens de la lumière (le bon sens selon les critères les plus répandus, car à mes yeux il n’y a pas de bon ni de mauvais sens).

J’ai imaginé vivre dans la maison de l’ancien garde-barrière, au milieu des champs : c’était bien.

J’ai fait demi-tour, nous n’avions pas le choix mais pour une fois ça ne m’ennuyait pas de revenir sur mes pas : pour voir les paysages dans l’autre sens, qui n’est ni le bon ni le mauvais, comme vu précédemment. Ici, un chouette ruisseau.

Tout cela était vraiment très bucolique, jusqu’à ce que je rencontre une cartouche de carabine. Et comme si elles avaient attendu ce moment pour gâcher mon paradis champêtre, ces raclures de bidet que sont les chasseurs se sont manifestées.

Il y a de drôles d’individus dans ces campagnes veinées de voies ferrées désaffectées, je l’ai compris quand j’ai entendu les premiers coups de feu dans le lointain.

L’on trouve quelque chose comme un arrière-monde, sur les côtés : un arrière-presque-la-campagne où le fer même est brindille, où les textures se mêlent jusqu’à défier les lois de la nature.

Un petit kilomètre avant de regagner Cysoing, j’ai rencontré deux adolescentes de bonne famille qui fumaient allez savoir quoi, assises sur les rails. J’ai un peu discuté avec elles ; je leur ai dit de faire attention aux chasseurs. J’espérais qu’elles hocheraient la tête et m’avoueraient qu’ils sont une infection dans cette belle campagne, mais elles ont haussé les épaules. Ensuite, j’ai fait attention à ne pas me prendre les pieds dans des ronces pour que les gamines n’aient pas l’occasion de se payer ma tête.

Les viennoiseries de Cysoing sont très bonnes.

Rotterdam

La ville mérite bien sa réputation de « petite New York de l’Europe » ; on y trouve aussi un peu de Londres, dans les quartiers résidentiels, une pincée de Berlin – elle offre notamment la même respiration – et beaucoup de Rotterdam. Il serait impossible de reconstituer en photos l’inouïe diversité de la ville et de proposer un inventaire de ses bâtiments les plus remarquables, ce qui nécessiterait par ailleurs de les resituer dans les nombreuses et vertigineuses perspectives qui les magnifient chacune à sa manière. Bref, je vais m’en tenir à mes rubriques habituelles, c’est plus humble et plus prudent. C’est pourquoi je commence par une déclaration d’amour à la ville en vous proposant une sélection des

zéphyrs embrasés

que j’y ai surpris au détour d’un quai, d’un jardin aérien ou d’une rue.

De Rotterdam

Dessiné par Rem Koolhaas, l’immeuble ne serait pas une splendeur nonpareille sans tout ce verre – qu’il faut bien nettoyer, évidemment. Un zoom sur la situation là-haut.

Des reflets ou pas

Grand Jeu Concours ! Trois des photos ci-dessous ne sont pas des photos de reflets. Devinez lesquelles et gagnez quelque chose plus tard. Disons 30 g de canneberges bio, quand je serai allée en acheter (plutôt la semaine prochaine – je sais, ça obligera le pigeon gagnant à faire deux aller-retour : si ça vous ennuie, ne jouez tout simplement pas).

Rideaux et Voilages

Rideaux et Voilages de péniche

Rideaux et Voilages de roulotte sur les toits

Moins sobre, ce trompe-l’œil imitant à la perfection les Rideaux et Voilages qui font peur + (n’est-ce pas extraordinaire ?) des reflets de voitures, trompe-l’œil astucieusement collé sur la fenêtre d’une maison promise à la démolition (oui, collé : il s’agit en effet d’un sticker géant en six parties)

Véritables Rideaux et Voilages faits de bâches sur ce bâtiment en construction dont les fenêtres de style industriel entrent en harmonie avec celles du Fenix Food Factory tout proche

Le métro fantôme

Bien sûr, il me fallait m’aventurer sur les sites à l’abandon que recèle encore (plus pour longtemps) la ville de Rotterdam, si possible une voie ferrée, comme le veut mae tradition. Parcourant le site de Luchtsingel, j’ai été littéralement appelée par un tronçon de métro aérien abandonné, recouvert d’un revêtement caoutchouteux et très mal protégé des intrusions par une grille brinquebalante. Je l’ai donc longé sur 1,65 km, à savoir jusqu’à son extrémité. Moins spectaculaire que le métro fantôme de Charleroi, il m’a tout de même ravie.

Au début, il se présentait ainsi.

Il me permettait de découvrir un quartier d’en haut…

…et de regarder un peu chez les gens. Les quelques habitants qui m’ont surprise, quoique d’abord étonnés de me voir là, ne m’ont pas sermonnée, ni (a priori) dénoncée.

De loin en loin, je devinais d’anciennes stations.

Un atelier d’artiste(s ?) m’a offert une pause culturelle (un petit zoom sur cette exposition en plein air à mon seul bénéfice vous sera proposé ci-dessous dans l’inévitable rubrique consacrée à Rotterdam : L’art).

J’ai vite deviné qu’il me faudrait rebrousser chemin quand j’atteindrais le bout de cette voie plus très ferrée, et j’étais bien curieuse de savoir ce qui m’y attendrait. C’était l’autoroute, tout simplement. Et, entre la ville et elle, le Noorderkanaal. Qu’est-ce que cette chose à sa surface, vous demandez-vous ?

La réponse en un petit zoom (j’ai un zoom assez chouette sur mon nouvel appareil photo, vous l’aurez deviné).

Lost in Rotterdam

La rubrique des objets trouvés est assurément l’une des plus mal loties sur ce blog. Je trouve amusant de l’alimenter à l’occasion d’un reportage de fond sur Rotterdam, ville aux antipodes de l’arrière-monde dans la mesure où elle est d’une exquise propreté. Rien n’y traîne, ou presque – je me dois de signaler que dans les quartiers populaires, principalement ceux situés au sud de la Nouvelle Meuse, l’on trouve malgré tout quelques papiers gras et Caprisun ; je pense que les services de ramassage des ordures y sont moins zélés, mais ces territoires à l’écart des regards (touristiques) restent de très bonne tenue comparés à l’arrière-monde de la métropole lilloise, qui est en toutes choses notre étalon or, notre Fernsehturm, notre étoile du berger. Je vois également dans ce billet l’occasion inespérée d’exhiber un Mickey hollandais (désolée, il ne s’agit pas d’un Mickey maison, il ne faut pas trop en demander : pour tout dire, le kitsch non plus n’est pas de mise à Rotterdam, qui fait plutôt dans le bon goût – pour ne pas dire dans le raffinement – et la sobriété).

(Feuille fondue au revêtement d’étanchéité signalé dans la rubrique consacrée au métro fantôme.)

La divination

Je crois volontiers aux avertissements que m’adressent les murs et supports variés des villes – moi qui n’ajoute pas foi, en revanche, à la moléomancie (divination par les taches de naissance et les grains de beauté). Les murs ne m’ont pas fait défaut à Rotterdam, ils apportaient un écho intéressant et souvent très pertinent aux questions existentielles et ontologiques favorisées par mon errance.

(Académie Willem de Kooning ; nous devrions cette phrase à de Kooning himself – j’ignorais qu’il était né à Rotterdam, eh bien c’est le cas : il est né à Rotterdam.)

(Détail de Ode aan Marten Toonder*, monument situé sur le Blaak, près du Markthal.)

* Toonder était un cartoonist local, comme on le voit bien ci-dessous :

(Pas trop) mal assis, là

Je ne vais pas mentir : l’on s’assied plutôt bien à Rotterdam. Devant chaque maison, des sièges confortables, parfois des salons de jardin à part entière sur les trottoirs, cernés de plantes et tout particulièrement de roses trémières ; beaucoup de bancs avec tablette centrale, aussi ; très peu de plastique – nous sommes plus dans une tendance nature, bois, rotin. Dans les parcs, des bancs et tables de pique-nique comme neuves (accord de proximité, les gars), où le design ne fait pas mal aux fesses. Je pense avoir trouvé la ville du bien-asseoir, ou du moins l’une d’elles (l’on se rappellera que j’ai trouvé très peu de mal assis à Brooklyn). Cependant, que serait une série National Geo sans ses Mal assis, là ? Aussi ai-je photographié quelques sièges et configurations qui m’ont charmée.

Erasmusbrug

Le pont dessiné par Ben van Berkel et Caroline Bos se lève plusieurs fois par jour, non pour laisser passer des péniches, des barges ou des cargos mais des petits voiliers familiaux sur lesquels l’on se prélasse – cependant qu’au fil des minutes, derrière les barrières de sécurité, le nombre des piétons, cyclistes, automobiles et tramways en attente ne cesse d’augmenter. Nous reviendrons sur l’Erasmusbrug à l’occasion d’un incontournable exposé sur la géométrie.

Le vide exact

Quelques chiffres pouvant expliquer l’excellence de Rotterdam en matière de vide exact et illustrant également mon assertion selon laquelle la ville respire et nous laisse respirer – en comparaison avec Lille et sa métropole, qui sont notre phare, notre abécédaire, notre méridien de Greenwich (et l’étau qui aura notre peau).

Population de Rotterdam : 634 253 hab. / population de l’aire urbaine : 1 424 662 hab. / superficie : 319,35 km2 / densité : 1 986 hab./km2
Population de Lille : 232 741 hab. / population de l’aire urbaine : 1 182 127 hab. / superficie : 34,51 km2 / densité officielle : 6 744 hab./km²

(Où l’on comprend peut-être mieux que la vie à Lille m’évoque un métro parisien à l’heure de pointe : vous voyez que je n’en rajoute pas. Pour tout dire, le vide exact est devenu ma passion, je rêve qu’il n’ait jamais de fin.)

Piekstraat, à Feijenoord, où l’on ne croise aucun être humain.

World Port Center, tour Montevideo, tours Rotterdam et tour New Orleans, vus depuis Katendrecht, où j’ai croisé peu d’êtres humains.

Willemsbrug, vu depuis le Ons Parc, où j’ai rarement croisé des êtres humains.

* Donnez-moi des densités de population et je m’amuse pendant des heures, comme un enfant avec une bassine d’eau et un verre.

Aviaire

À Rotterdam, l’omniprésence de l’eau amène de nombreuses populations aviaires à partager l’espace urbain avec les humains – les humains y sont en l’occurrence très souriants et les oiseaux pas très farouches. Ci-dessous, une troupe de canards danseurs particulièrement accueillants : lorsque je suis arrivée à Stootblok, j’ai aperçu cette bande d’amis qui somnolaient entre une barre de type HLM et le quai Binnenhaven, et tous se sont levés pour s’avancer vers moi puis, alors que j’allais les rejoindre, se sont disposés comme vous pouvez le voir sur la photo. Une véritable invitation. Alors j’ai dansé en ligne avec mes amis canards, en tapant dans les mains et lançant des Yeehaw ! Les habitants des alentours ont semblé apprécier cette performance – vous me pardonnerez de ne pas l’avoir filmée pour vous : j’étais pleinement dans l’instant, comprenez-vous.

Je ne prétendrai pas qu’à Rotterdam, l’on danse avec tout ce qui vole. Mais on peut aussi passer un bon moment entre amis autour d’un café.

Ou juste saluer une connaissance qui traverse le port devant le building New Orleans.

Ou échanger quelques mots de néerlandais : « Hoe gaat het met u ? » nous enquerrons-nous. « Rustig », répond l’oie.

– Hoe is et water ?
– Op de perfecte temperatuur.

Steamship Rotterdam

Je trouvais l’idée de cette visite plutôt amusante, avant de me rendre compte que l’on pouvait ne pas percevoir la distance ironique à travers les seules images. Alors qu’étais-je censée faire ? Renoncer à vous emmener à bord de ce flamboyant paquebot ? Ou seulement vous confier qu’il ne navigue plus ? Qu’il s’agit aujourd’hui d’un simple hôtel avec une piscine qui tient plutôt de la pataugeoire et un restaurant dont l’odeur a eu sur moi l’effet qu’aurait pu avoir le roulis en haute mer ? D’ailleurs permettez que je vous y accueille en short.

La géométrie

J’ai officiellement renoncé à me pencher sur tous les buildings remarquables de Rotterdam, mais ça ne signifie pas que je ne vais pas m’attarder, le temps d’un billet, sur la géométrie. Ce serait idiot, la ville étant un véritable labyrinthe visuel de lignes et de courbes. Simplement, je laisserai les tours de côté pour ne pas faire de jalouse. Pour plus de détails sur les photos ci-dessous, merci de contacter la rédaction par pigeon.

L’art

L’art est partout dans les rues de Rotterdam, et principalement dans des espèces de cadres géants qui ornent les façades de certains quartiers résidentiels (dont Noordereiland, mon île, et Katendrecht). Mais avant de vous présenter trois de mes œuvres murales préférées, voici comme promis un zoom sur l’atelier d’artiste(s ?) que nj’ai découvert depuis la voie de métro désaffectée, ainsi qu’une publicité pour une exposition.

La piscine

J’ai compris à Berlin, il y a quelques années, que je disposais en tant que française d’un super pouvoir très utile quand on aime s’aventurer dans des friches. Je l’ai expérimenté à Teufelsberg, sur le site de l’ancien projet Echelon de la NSA, puis à Spreepark, parc d’attraction tout aussi désaffecté : quand quelqu’un finit par vous tomber dessus, vous faites mine de ne comprendre aucune langue étrangère et les gardiens renoncent à se mettre en colère dès lors que vous avez prononcé quelques mots en français : alors ils laissent tomber, tout simplement. Au mieux, ils vous laissent finir votre visite et, au pire, vous raccompagnent à la sortie. Mais les Rotterdamois que j’ai croisés étaient si accueillants que même leur manière de me congédier était comme un hug, aussi n’ai-je pas eu besoin de jouer la carte du plouc pour m’en tirer sans ennuis ni amende. L’ancien centre aquatique Tropicana, fermé depuis une dizaine d’années, abrite aujourd’hui un bar à bobos, Aloha, et un espace de coworking, BlueCity, mais pour l’instant, le bassin principal reste dans l’état – un incendie l’a menacé l’été dernier mais les initiateurs du coworking ont nettoyé les dégâts et, à terme, ce bassin qui fait également office de serre équatoriale (l’on devine à la lumière calamiteuse des photos ci-dessous les conditions météorologiques de cette visite) fera également partie de leur espace de travail. Je sais tout ça parce que la charmante dame qui m’a demandé de bien vouloir quitter les lieux a gentiment discuté avec moi avant de me laisser regagner la sortie sans escorte, tranquillement.

Et ici, en exclusivité, mon premier Mal assis à la piscine :

Upper rooms & kitchens

Contrairement aux bien assis, là, les églises et autres bondieuseries ne pullulent pas à Rotterdam comme elles le font à New York (et en Vendée). L’image ci-dessous vous donnera un aperçu de la place qu’elles occupent dans l’espace urbain :

C’est bien clair ? Quant à la mosquée centrale, elle est en vérité plutôt enclavée (au sud de la Nouvelle Meuse : pas centrale à proprement parler).

Ci-dessous, ce qui fut une église et qui aujourd’hui, sous le nom de ‘t Lispunt, répond à des problématiques sociales uit de buurt. C’est bien aimable à Jésus d’avoir donné sa maison pour la bonne cause. Les missions de t’Lipunt sont aujourd’hui celles-ci : « Buurthuis ‘t Lispunt organiseert verschillende activiteiten voor kinderen uit de buurt. Hierdoor worden bewoners actief betrokken bij de buurt en wordt een brug geslagen tussen verschillende culturen en het bevordert de emancipatie, participatie en integratie. Er is een aanbod aan recreatie, educatieve, sportieve en ondersteunende activiteiten. Kinderen met een meervoudige problematiek krijgen veel aandacht. » Comme vous l’aurez compris, j’ai découvert ce lieu depuis la voie de métro désaffectée.

Chercher a posteriori le nom du lieu de culte ci-dessous sur une célèbre carte en ligne m’aura appris deux choses : 1. il n’est pas répertorié sur ledit plan* comme un lieu de culte (s’agit-il d’une autre MAJ – ou CCCS – gracieusement offert.e par Jésus aux Rotterdamois ?) 2. que j’ai manqué une église particulièrement audacieuse sur le plan architectural.

Pour finir, une vue de Citykerk Het Steiger Sint Dominicus dans son milieu naturel.

* Je n’accorde qu’une confiance relative au plan en ligne, dans la mesure où j’ai trouvé dans ses fascinants méandres d’inévitables et néanmoins embarrassantes inexactitudes.

La Roche-sur-Yon

Château-Fromage

Aujourd’hui, j’ai couru sur un chemin que Napoléon a parcouru à cheval, jusqu’àt Château Fromage (j’aurais bien poussé jusqu’à Sigournais mais c’est beaucoup trop loin – un peu après Chantonnay) ; à notre gauche, un pont surplombait l’autoroute, tandis qu’à notre droite, un champ de colza ondulait sous la brise.

(Napoléon was here. Moi aussi, sans cheval.)

Ici même, j’ai ressenti une telle joie que mes orteils gigotaient dans mes baskets, et soudain j’ai dansé, esquissant des sauts de biche, les bras tendus vers le ciel que parcouraient des nuages rapides.

(Saut de biche sur l’A87 en contrebas du susdit pont.)

Plus tard, j’ai descendu la D80 pour revenir vers la Roche-sur-Yon, me fiant à mon seul sens de l’orientation alors même que j’étais au beau milieu de ceci :

(La campagne, quoi.)

J’ai couru des kilomètres sans croiser un véhicule. Je prends goût à la campagne, me disais-je : des champs, des bois, des cours d’eau, des étangs, et personne pour me gâcher le paysage.

À cet instant précis, j’ai baissé les yeux et vu, au fond du fossé juste à ma gauche, un imposant mammifère mort, sur le dos, ses courtes pattes pathétiquement tendues vers le ciel. J’ai frappé plusieurs dizaines de fois ma cage thoracique avec le plat de mes mains cependant qu’une voyelle indéterminée roulait au fond de ma gorge. J’ai couru encore plus vite et veillé à ne plus baisser le regard vers le fossé jusqu’à ce que j’aie atteint la ville.

(De retour à la civilisation.)

J’aime beaucoup La Roche-sur-Yon. Je suis bien, ici, les journées sont bien remplies et le soir je bois des verres avec Sophie, Éloïse, Mandana et ceux que nous croisons chez Simone & Simone ou à la Maison Gueffier (à m’entendre, on dirait que je suis ici depuis longtemps – je le ressens ainsi).

* J’espère que vous savourez les sonorités locales.

** J’ignore de quelle espèce. Format raton laveur, robe marron clair.

L’art des jardins

La Roche n’a rien à envier à la banlieue lilloise en matière d’art. Vous traversez un lotissement et vous êtes au musée.

Le Chalet de l’Ouest est une tradition aussi répandue que le Chalet du Nord et s’accompagne de réjouissantes surprises.

Mais je dois avouer que la région nous bat dans le domaine de la flore, que ce soit dans la catégorie California Dreaming (l’on y trouve des palmiers par milliers) ou dans celle que j’appelle volontiers Imagin’Hair : ici, l’on taille les arbustes en boule, en cône, en cylindre, avec une précision rare. Ici, de jolies petites sphères devant ma maisonnette.

Des activités économiques

Voici cinq bonnes raisons de vivre dans une ville dont le nom permet autant de facéties que Hair et Tif.

Beaucoup fun

Ici aussi, on a beaucoup fun. Comme nous le verrons également dans l’incontournable Mal assis, là, tout est fait à la Roche-sur-Yon pour le confort des citoyens, à cette nuance près que les tondeuses municipales sont en grève depuis quelques mois, à tout le moins.

Mal assis, là

Comme j’en avançais la thèse ci-dessus, la tondeuse à gazon n’est pas aussi ancrée dans les traditions locales que ne l’est le sécateur – aujourd’hui même, une Yonnaise d’adoption particulièrement bien intégrée m’avouait recourir aux ciseaux pour entretenir la pelouse de son jardin. Ici, l’on peut manifestement prendre du bon temps, les chevilles dans les orties. Nous verrons plus bas que l’on peut également se ménager des lieux de convivialité dans des lieux publics particulièrement pentus ou perchés.



Des spécialités vendéennes

Au fil de mes courses à pied, j’ai découvert ce que je suppose être des spécialités vendéennes au même titre que le préfou et le fion, dans la mesure où je n’avais jamais rien vu de tel auparavant. Ci-dessous, une décoration de façade qui porte une coiffe typiquement vendéenne (toutes les femmes portent ici de ces coiffes carrées parfois dites capots canons, je le jure – si je ne vous le prouve pas par l’image, c’est bien parce que j’ai pour principe de ne pas photographier d’individus, à l’exception des animaux):

De loin, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une niche à vierge (j’opte ici pour la préposition à plutôt que pour de, comme dans des expressions telles que huche à pain, verre à vin et cloche à fromage – ce choix d’exemples tend à suggérer que l’apéro commence tôt ici, à la terrasse de Simone & Simone), les Vendéens étant de bons catholiques (ce matin j’ai croisé un arrêt de bus portant le nom de Jean XXIII – il nous faudrait une rubrique « aménagements municipaux et laïcité ») mais non. Vous comprendrez aisément ma confusion :

Un autre élément du folklore me paraît être ce panneau servant à compter les points d’un jeu qui est ou n’est pas (je ne sais vraiment rien de rien) la pétanque ou un jeu du même style, et que j’ai découvert quelque part entre Moulin Papon et Moulin Sec (une fois de plus, je vous invite à savourer l’onomastique locale) :

(Oui, mes photos sont écrasées par la lumière : comme ma tête par la chaleur. Mille excuses mais je ne pratique toujours pas la danse de la pluie.)

Un peu d’architecture

Vous êtes nombreux à me demander quid de l’horizontalité, de la verticalité, de la répétition de motifs, de la symétrie et de la vieille pierre à la Roche-sur-Yon. Vos questions sont légitimes et votre curiosité louable.

La ville dispose de quelques grands ensembles, dont voici deux aperçus qui ébauchent une réponse à vos deux premières questions. Notez que si une voie ferrée agrémentée d’un tunnel pour piétons fait la richesse de la première configuration, la nature enveloppe la seconde, avec sa rivière, son herbe à fun et ses orties.

Les lotissements sont nombreux, plats, labyrinthiques et traversés de petits chemins par centaines, qui relient les différentes rues. L’art des jardins, comme nous l’avons vu, y est souvent riche, qui casse par endroits la répétition de motifs cubiques beiges aux angles nets mais pas toujours ; ci-dessous, par exemple, non.

Quelques bâtiments, dans le centre de la ville, présentent une géométrie intéressante, comme c’est le cas du Palais de Justice.

Quoique la ville manque, à mon humble goût, d’arrière-mondes et de cicatrices (expressions murales diverses et autres dégradations), l’on y trouve un petit château muré qui m’a bien plu, dans le parc des Oudairies.

Jambes en l’air

De haut en bas, place Napoléon, devant le Grand R et à la Maison Gueffier, au cours d’un atelier d’écriture très guindé, comme on le voit clairement (merci pour leur complicité à Alix, Michèle, Pascale, Catherine, Barbara, Catherine et Bernard*, de gauche à droite sur la photo).

* Merci aussi à Micheline, Christian, Catherine, Eric, Corinne, Nad’, Pascale et Sophie, tous hors champ ici mais qui ont également contribué à faire de cet atelier un moment riche et généreux. Je leur dois aussi d’inoubliables fous rires.

Insurrect’yon

(Certains promoteurs se contrefichent de la lutte ; Philippe P., par exemple, s’en tamponne grave le coquillard. Si tel n’était pas le cas, il aurait veillé à placer son panonceau sur la virgule inutile plutôt que sur le pat.)

(« à partir de maintenant et pour toujours » a le mérite d’être à la fois clair et radical ; notez qu’il ne s’agit pas du même promoteur et que celui-ci soutient la lutte, d’autant que cette petite cabine mise à disposition des militant.e.s est rouge.)

Presque la campagne

D’après les informations que j’ai trouvées, l’agglomération de la Roche-sur-Yon, c’est 89% d’espace naturel et agricole – la métropole lilloise compte 46% de surface agricole mais a souffert d’une artificialisation rapide (le nouveau plan d’urbanisme PLU2 devrait au moins endiguer cette tendance). C’est vrai, je serais bien, ici, à la Roche-sur-Yon, je pourrais courir des années sans me lasser de découvrir de nouveaux champs et pâturages où serpentent des cours d’eau, où stagnent des étangs, où bruissent les arbres et les buissons, où paissent chevaux et veaux, et cependant rester à proximité d’une vraie ville : c’est ce genre de configuration qui m’attire à presque la campagne. Mais qu’est-ce que c’est vallonné, ici. Et puis il fait chaud. 46% de surface agricole, ce n’est déjà pas si mal, surtout pour une aussi grande métropole. Non, je pense que je vais rester encore un peu dans le plat pays.

Je reste

Je ne rentrerai pas de La Roche-sur-Yon, bien que l’on y travaille dur. Hier midi, lors de mon Jeudi Curieux au Grand R, nous avons écouté Sonic Youth, Help She Can’t Swim, Puccini, Barber, Mahler, Ravel, Toysession, Meredith Monk et Morton Feldman, dans cet ordre. J’ai trépigné pour continuer mais c’était l’heure. Bientôt, des images de Mes petites amoureuses, que Clémentine et moi avons jouées hier soir. (Merci à Jany pour les photos.)

Ici, tard le soir, on mange des pizzas et on joue à la Cène. Hier, j’ai fait Jésus. Devinez qui a fait Judas et qui Marie-Madeleine* : Johanna, Adeline, Mandana, Sophie, Mathilde, Clémentine, Éloïse, Myrto ou Patricia ?

Bref, je reste.

* Quand, au cours d’une soirée, j’entends une camarade dire à une autre, « Non, c’est moi qui fais Marie-Madeleine, je l’avais dit avant », je ne vais pas mentir : j’aime ma vie. (Notez que, chez nous, Marie-Madeleine ne reste pas dans la cuisine.)

Upper rooms & kitchens

Ce n’est pas comme si l’on n’avait pas l’embarras du choix en matière de bondieuseries, en Vendée. J’ai dû faire des choix douloureux. Vous aurez un Jésus agent de la circulation, un petit Jésus que sa vierge mère forme précisément au métier (d’agent – suivez un peu, je vous prie), et une Bernadette, parce que ça change et que le bâtiment qui lui est consacré ici est aussi un trésor architectural.

Quel est le point commun entre Brooklyn et la Vendée ? C’est bien simple : vous pourriez alimenter vos upper rooms and kitchens en églises, chapelles, calvaires, statue(tte)s, affiches et autres bondieuseries jusqu’à la fin de vos jours sans déborder de votre territoire. Je pense que c’est le seul – point commun. Encore une occasion de dire, Merci Jésus, son papa, sa maman et tous leurs amis de créer des liens si forts entre les fidèles par-dessus les eaux vigoureuses du vaste Atlantique.