JC+31

Je me réveille, Dame Sam s’étire sur mon ventre et je constate l’absence de mon amour à ma gauche et la présence de bouchons en mousse dans mes oreilles – je les ai mis vers 23h, après m’être disputée par SMS avec ma voisine, et après qu’elle a conséquemment claqué autant de portes qu’elle a pu.

(Ma chambre vide.)

Sur le site de Pitchfork, aujourd’hui, un hommage à Stevie Nicks. Je ne sais pas ce qui me pousse à écouter en ligne les deux derniers albums de Fleetwood Mac que je me sois procurés à leur sortie et dont à l’époque j’ai usé les cassettes (j’avais les Greatest Hits en 33 tours – Hold Me, Tusk et Dreams étaient mes préférées, et aussi Sara, et The Chain mais il est sur Rumours), à savoir Tango in the Night en 1987 et Behind the Mask en 1990. Ce n’étaient vraiment pas leurs meilleurs LP mais leurs mélodies sucrées ont conservé des souvenirs extraordinairement précis de mon adolescence : Sky is the Limit dans les graminées, à l’écart du lac Majeur où mes cousins se faisaient des potes italiens qui leur apprenaient des gros mots – va fanculo, ah ah. Et moi, dans mon casque en mousse : Love, love, love / Love is dangerous. Mon autre groupe culte était (depuis plusieurs années déjà) The Smiths. L’année suivante je découvrais Sonic Youth.

Ce matin, je fais des recherches sur les cavaliers miniers en écoutant des albums de Fleetwood Mac. Depuis mon passage à la musique dématérialisée, je n’ai conservé que ceux-ci :

Fleetwood Mac, période américaine, nous offrira donc assurément

La musique du jour

Ce matin, j’ai du mal à me dire que la vie n’a pas repris son cours habituel comme c’est le cas dans la maison – qui n’est plus Socorro mais n’est pas pour autant redevenue mon Vaisseau Fantôme. Son nouveau nom lui viendra bien assez vite, sans que j’aie besoin d’y réfléchir. En attendant, j’essaie de me souvenir que la pandémie sévit encore, de même que les règles de confinement. Je dois me faire violence pour ne pas retourner voir les cavaliers d’Avion que j’ai découverts par hasard au mois de janvier,  bien trop loin de chez moi selon la règle qui nous empêche d’occuper l’espace – règle absurde qui montre à qui ne l’aurait pas encore compris que la pseudo évolution de l’espèce a atteint un point de non-retour. L’impossibilité dans laquelle je suis de me déplacer m’est d’autant plus difficile à comprendre que j’écoute ces chansons pour la première fois depuis l’adolescence. C’est le même territoire, la même bande son, la même solitude, alors quoi ? Que s’est-il passé de si terrible, ces trente dernières années, se demande l’adolescente que je fus, pour que tu n’aies pas le droit de parcourir le bassin minier, le 17 avril 2020 ?

Le vide du jour

et

Le gant du jour

me rappellent assez rapidement aux réalités de ce printemps. Le gant ci-dessous a jauni en vieillissant – à sa teinte, je lui aurais donné plusieurs mois, voire plusieurs années. Mes souvenirs d’adolescence ont moins mal vieilli, comme en atteste Fleetwood Mac dans mon casque (j’ai décidé de poursuivre en mouvement l’expérience de rétrospection). Notons que certains gants se grisent tandis que d’autres jaunissent.

Ce matin, les lapins sont peu nombreux mais ça me fait du bien d’être « à la maison », comme mon amour appelle le spot : ça me donne l’illusion que si je cesse de guetter les lapereaux, la main en visière, je n’ai qu’à me pencher vers elle pour l’embrasser, respirer sa peau et plonger dans son regard noir intense (genre chocolat noir à 85%). Je salue aussi son poney rouillé.

(Où sont lapins ?)

Ce soir, après avoir écrit plusieurs pages sur les terrils, je rends visite à Danny (pas trace de sa poulette), il est super content de sa demi-carotte bio (on fait moitié-moitié, mon ami et moi) mais le fermier voisin vend ses produits et des gens commencent à faire la queue sur la route, alors je m’éloigne en apnée. (Je n’ai pas encore dit, je crois, combien j’étais devenue forte en apnée. Dès lors que je suis obligée de croiser quelqu’un sur un trottoir, je tourne la tête à 90° dans le sens opposé, tout en retenant mon souffle, de vingt mètres avant à vingt mètres après.) Je rentre avant l’orage.

Le conseil lecture du jour

Je vous donnerais bien, pour une fois, un bon vieux conseil lecture des familles, avec un nom d’auteur, un titre, un éditeur et un prix à virgule. Je pensais à ce livre en courant ce matin, parce qu’il serait à la fois un conseil de lecture et un conseil d’écriture : quand je l’ai lu, je me suis dit que chacun devrait en écrire sa version. Son auteur vit dans le même département que moi, nous nous entendons bien ; sa fille a fait partie d’un groupe qui mélangeait punk et krautrock avec beaucoup de talent ; un jour, alors que nous allions faire une lecture à l’Hybride (Lille), il m’a offert celui de ses livres que je vous aurais bien conseillé aujourd’hui, et qui à l’époque venait de paraître en poche. Ce faisant, il m’a dit « Je pense que ça pourrait te plaire » et c’est effectivement mon préféré de lui. Trouvez l’auteur et le titre du roman dont il est question et gagnez ma considération pour vos dons de détective.

Nouvelle rubrique :

Des vieilles photos que j’ai prises

(C’était un soir aux Périseaux, il y a un an et demi.)

JC+30

Le (dé)conseil lecture du jour

Ne lisez pas ce billet, ce n’est qu’un épanchement lacrymal narcissique et non informé sur le coronavirus. Il représente cependant une étape importante dans un Journal de Confinement, aussi modeste soit-il, dans la mesure où à JC+30, ce confinement devient solitaire. Par ailleurs, c’est un billet très pauvre en lapins. Ceux-ci ne sont pas du jour et nous tournent le dos.

Pourtant, je suis réveillée par un fou rire, ce matin. J’ai rêvé que je voyais quelqu’un porter des chaussettes à col polo. Je me disais que c’était normal, au fond, puisqu’on parle de cou-de-pied, pourquoi les chaussettes n’auraient-elles pas de col ? Puis je me demandais si les chaussettes plus traditionnelles étaient des chaussettes à col roulé. Je ris encore un long moment après mon réveil.

 

Je suis très fatiguée, je le suis la plupart du temps depuis le début du confinement, bien que je dorme plus que jamais. Je me blottis dans les bras de mon amour, où je somnole encore un moment. Je suis heureuse, là, dans ses bras. Je me sens à ma place. Je vais courir avant qu’il ne fasse trop chaud mais je ne suis pas en grande forme et je trouve éprouvants les dénivelés du bassin minier auxquels, ces derniers mois, j’ai pourtant fini par ajuster ma foulée, mon souffle et le travail de mes muscles, jusqu’à ne plus y penser. Je traverse

Le vide du jour

entre la Grande Résidence et la fosse 14

et je rentre par le parking du stade Bollaert, où je trouve

Le gant du jour

Quand j’arrive chez moi, il est 10h30 et une adolescente lit dans un sac de couchage sur mon canapé. Ce n’est rien, je le sais, mais je me sens très lasse. Brutalement, démesurément. C’est l’étincelle, le mini truc qui fait tout exploser. Je m’aperçois que depuis la crise de la semaine dernière, j’essaie de vivre avec ces deux adolescents comme s’ils étaient de très gros acouphènes, et que mes nerfs sont sur le point de lâcher. Mon amour m’apprend que les siens aussi. Alors je prends un calmant et je lis, Dam Sam étendue sur mon ventre, pendant que la mère et ses enfants remplissent leur voiture. Ça ne prend qu’une dizaine de minutes. Puis je dis au revoir à mon amour et c’est comme si on m’arrachait un organe à mains nues.

(Le pan de mur que fixait mon regard quand nous avons pris la décision du départ. J’y vois une œuvre belle et mélancolique, vraisemblablement d’arte povera, exprimant la finitude de toutes choses.)

Moi, j’arrache le lierre qui mangeait le mur du jardin. Peggy n’en veut plus, ni moi depuis qu’elle a évoqué un nid de rats qui autrefois vivait dedans alors je tire, je tire des lianes entières, je suis une meurtrière mais je ne ressens rien à cause du calmant – d’ailleurs il arrive qu’on cesse de sentir la douleur quand elle est trop forte. J’arrache du lierre et j’écoute mon Antique au téléphone. Elle doit entendre ma voix faire hum, puis des longs scrrrriiiiiiitch. Je parle mollement parce que je suis groggy mais je tire fort.

Tu n’es pas allée voir les lapins ? me demande mon amour au téléphone, quand elle est de retour à Paris, et je pleure parce que ce sont nos lapins. Et même le poney de mon amour ne parvient pas à me faire rire quand je regarde sa photo, je voudrais le prendre dans mes bras même s’il n’est au fond que

Le détritus du jour

La musique du jour

L’autre musique que je veux à mon enterrement : Knoxville, Summer of 1915, de Samuel Barber, sur un texte de James Agee. Pièce commandée et créée par Eleanor Steber, que l’on entend ici. Hier soir, alors que nous venions de rendre visite à nos lapins, mon amour a dit « C’est l’heure » et j’ai eu ce morceau dans la tête. Il m’était revenu plusieurs fois au cours des jours précédents – je l’écoute moins depuis quelques années, pour ne pas l’user car c’est l’un des plus beaux que j’aie jamais entendus. Je l’écoute maintenant, c’est l’heure et je suis assise à regarder les oiseaux, les chats et les bourdons affairés, Dame Sam ronronne sur mes genoux. J’aimerais écouter cette musique avec mon amour, quand elle reviendra, dans quelques jours.

It has become that time of evening when people sit on their porches, rocking gently and talking gently and watching the street and the standing up into their sphere of possession of the trees, of birds’ hung havens, hangars.

(…) By some chance, here they are, all on this Earth; and who shall ever tell the sorrow of being on this earth, lying, on quilts, on the grass, in a summer evening, among the sounds of the night. May God bless my people, my uncle, my aunt, my mother, my good father, oh, remember them kindly in their time of trouble; and in the hour of their taking away

Je clos définitivement la rubrique Mon relevé du jour. Ça fait beaucoup de clôtures, cette semaine, j’en ai bien conscience. Il y en aura d’autres, je préfère l’annoncer sans détour. J’en suis désolée d’avance.

L’enfer du jour

C’est le soir où, après avoir tant souffert de la solitude et du confinement, ma voisine a choisi d’inviter des amis et de péter les plombs. D’où : musique populaire, et on chante en chœur de toutes ses forces, et on danse en même temps, ou du moins sautille-t-on, à en croire les vibrations dans le sol. Il reste dix minutes avant le couvre-feu et quelque chose me dit qu’elle s’en fiche tout autant que de l’interdiction de côtoyer des amis. Que faire ? Elle a dit tant de fois qu’elle devenait folle : peut-être, si je lui envoyais un SMS pour lui demander de baisser le volume général, deviendrait-elle violente et se mettrait-elle à baver de la mousse, essaierait-elle de me crever les yeux, et il n’y aurait aucun témoin.

JC+29

Je n’ai pas fait de cauchemar cette nuit – enfin, si, mais ces millions d’insectes qui envahissaient ma maison n’étaient pas aussi traumatisants que la cabane du psychopathe – si c’en est une – dont je craignais de rêver. C’est malgré tout ma première pensée, au réveil, et celle de mon amour aussi. Cependant, je n’appelle pas la police. J’envoie mes photos du site maudit à mes meilleures amies. Outre que mon Antique a la fibre d’un détective privé, j’ai espoir qu’elles me proposent de nous accompagner sur place, à la fin du confinement. Nous poursuivons l’enquête au téléphone, avec des vues satellites et mes photos. Nous nous interrogeons sur cette tache blanche qui se situe à proximité de la paroi rocheuse ; à l’échelle, elle fait à peu près la taille d’une voiture.

Il faut que j’aille voir ce que c’est mais mon amour refuse de m’accompagner : elle a plutôt besoin de lapins, dit-elle. Seule, je n’ose pas m’y aventurer. Je ne cours pas sur le terril mais autour de lui ; j’inspecte les environs. Pas de marbrerie à l’horizon. Rien à signaler. Je ne vois ici que

Le vide du jour

Mais je ne ressens pas ce calme comme serein. Plus loin, je suis presque rassurée de voir que les passants sont nombreux dans les rues de Sallaumines, ce matin (toutes proportions gardées : même hors confinement, Sallaumines est ce qu’on appelle une ville morte), même si ça m’oblige à changer de trottoir vingt fois pour ne croiser personne. Ces habitants avec leurs sacs Lidl n’enterrent pas des gens sur des terrils, je les aime beaucoup. Mais ma véritable récompense de cette course à pied, c’est Danny qui me l’apporte.

Désormais, quand j’arrive en courant dans sa rue, il court avec moi jusqu’au bout de sa pâture. Je m’en réjouis d’autant plus qu’il a bien besoin d’exercice physique. Je le coache, en quelque sorte. Il faut se rendre compte qu’il a passé sa vie confiné dans cet enclos. Hier, nous l’avons vu ruer dans sa cabane, et sa poulette se tenait à l’écart, méfiante. Je comprends qu’il pète parfois les plombs, le pauvre chou. Si un jour je pars vivre dans les bois (ce qui supposerait que ma phobie toute neuve des psychopathes sylvestres soit passée), je l’emmènerai avec moi.

Le gant du jour

C’est mon cinquième jour sans informations mais mon amour me rapporte deux ou trois bricoles, de temps en temps. Ce matin, elle me raconte les dernières sorties de Trump et me dit que les gants ne servent à rien parce que le virus passe à travers. Peu importe, je continuerai d’en porter quand je vais dans des commerces essentiels : je ne crois strictement plus rien de ce qu’on nous dit – ou plutôt, de ce qui se dit, car je sors assurément du nous.

Le détritus du jour

– le jour où un type en a eu assez d’avoir dans un album photo ce souvenir de cuite : c’est aujourd’hui. Le jour de trop.

La musique du jour

Aujourd’hui, il faut bien s’y mettre, planter les pieds de tomates, de courgettes, d’aubergines, de concombres, les salades. Un des outils s’y casse – l’un des premiers outils que j’aie acheté de ma vie, à la jardinerie d’Avion, qui a rouvert la semaine dernière. Comme je crains que nos plantations ne prennent pas, mon amour dit qu’il le faudra bien, si nous voulons devenir autosuffisantes – une idée que nous évoquions dès avant le confinement et à laquelle mon objection majeure est : comment achèterai-je de la musique dans notre cabane au milieu des bois si nous faisons ce choix de vie ? La musique étant l’une des choses qui m’importent le plus, ce n’est pas une question anodine.

Collectress, c’est quatre Anglaises multi-instrumentistes : Rebecca Waterworth, Caroline Weeks, Katherine Mann (aka Quinta) et la formidable Alice Eldridge. Leur nouvel album, Different Geographies, est sorti le 6 mars dernier, quatre ans après le très beau Mondegreen. Quand j’ai eu envie de l’écouter, cet après-midi, je ne pensais pas à sa pochette. Or, chaque fois que j’imagine ma cabane, elle est perchée sur le terril de Pinchonvalles – fantasme né la première fois que j’y ai mis les pieds. D’ailleurs, ma première pensée, hier, quand nous avons distingué à travers la végétation le repaire du psychopathe, c’est « Quelqu’un l’a fait : quelqu’un a installé sa cabane sur un terril ». Avant d’approcher et de voir le détail du tableau.

(Ça, c’était la première fois que je visitais le petit paradis de Pinchonvalles, il y a très exactement un an et demi.)

Le conseil lecture du jour

Si vous ne visez pas la décroissance, lisez chaque jour le mode d’emploi d’un appareil électronique ou électroménager qui agrémente votre quotidien et apprenez tout ce qu’il pourrait faire pour votre confort si vous n’en sous-exploitiez les possibilités. C’est l’occasion. Si j’en avais le temps, j’étudierais en détail celui de mon appareil photo. La semaine dernière, j’ai lu celui de ma machine à laver sans parvenir à lui arracher son secret : où est le bouton Résurrection ?

Au fait

J’ai décidé de clore définitivement ma rubrique La bonne nouvelle du jour.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 11

Joggeur(s) : 0

Mails, SMS et appels de travail : 1

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+28

Ce matin, je renonce à courir pour faire les courses au Petit Casino de la rue Lanoy. J’aime beaucoup ce moment, qui me rappelle les trois premiers mois de ma vie lensoise (j’aurai bientôt vécu autant de temps confinée que libre dans ma ville d’adoption) – sauf pour les gants, le masque et le paravent de cellophane autour de la caisse. Sur le trottoir, devant le magasin,

Le gant du jour

est si sale qu’il semble traîner là depuis des mois. Les gants, on le voit, ne vieillissent pas bien.

Puis je me remets à mon texte en cours d’écriture et, en chemin, me perds agréablement dans la documentation. Je me penche notamment sur les ombellifères, mais je n’arrive pas à trouver le nom de la variété qui couvre la plus grande partie de mon terril / spot de lapins (dont je dévoilerai le nom et la localisation à la fin du confinement parce que je suis devenue, c’est officiel, complètement paranoïaque). Avant ouverture, elles ressemblent à ça :

Je perds mon latin à force de chercher leur nom : j’ai pensé à angelica sylvestris (l’angélique sauvage) mais les tiges (de mon herbe) me semblent trop charnues.

Le conseil lecture du jour

Il y a ici une étude très complète des ombellifères (Apiaceae) de la Belgique et des régions voisines. C’est passionnant mais je n’ai pas le temps de lire ses 286 pages, aussi je vous saurais gré de le faire et de m’envoyer le nom de cette plante quand vous l’aurez trouvé (il n’y a rien à gagner : c’est un conseil lecture, pas un Grand Jeu Concours, c’est moi qui vous divertis et non pas vous qui me rendez service).

La bonne nouvelle du jour

As far as anyone can tell / The sun will rise tomorrow, comme le chantait Sinatra dans son concept album Watertown.

Par ailleurs, il y a une recrudescence de rouges-gorges dans le jardin. Les chats errants se multiplient aussi ; j’en identifie une douzaine à ce jour. Et les escargots sont si gros qu’on peut les regarder dans les yeux.

Le vide du jour

pourrait être l’occasion de faire un exposé sur les différents types d’habitat minier (corons, cités pavillonnaires, cités-jardin et cités modernes) mais je ne suis pas un PDF, d’ailleurs les PDF, j’en ai jusque là aujourd’hui et ce doit aussi être votre cas si, faisant honneur à mon conseil, vous venez de lire l’Étude des ombellifères (Apiaceae) de la Belgique et des régions voisines. N’en parlons plus.

Depuis deux jours, mon amour a divers symptômes du coronavirus, le moindre n’étant pas le trouble neurologique : J’ai pris ce tonneau pour un poney, me disait-elle hier, au spot des lapins. Demain, je l’oblige à consulter un médecin en ligne.

La musique du jour

Un premier extrait du nouvel album de Kaitlyn Aurelia Smith, The Mosaic of Transformation, qui paraîtra le 15 mai

Une promesse de lyrisme assez étonnante pour l’héritière californienne de Suzanne Ciani – autre reine du synthétiseur modulaire Buchla.

Le détritus du jour,

en revanche, est très flippant, particulièrement dans son contexte : il s’agit d’un dispositif en granit noir qui évoque fortement la pierre tombale et dont il a dû être très difficile de hisser les divers éléments jusqu’au sommet de mon terril secret, l’endroit n’étant pas accessible aux véhicules motorisés et haut d’une cinquantaine de mètres.

Dans le bois en contrebas, nous avons trouvé un chemin sans issue, coincé entre une paroi rocheuse et un taillis épais, au fond duquel est installée une espèce d’habitation pour film d’horreur, à moins que ce ne soit un atelier sauvage (mais un atelier de quoi ?) avec des outils et toutes sortes de matériaux sales entassés de manière anarchique – bois, brique, ardoise, tôle, etc. Mon amour pense qu’il y avait du sang mais je pense qu’il s’agit d’autre chose. Je ne sais pas. De la poudre de brique, sans doute. Nous avons battu en retraite aussi vite que nous l’avons pu et la seule photo que j’aie prise de l’endroit est floue parce que je tremblais.

(Ça se passe quelque part là-dedans.)

Ce soir, avant de nous endormir, nous nous remémorons ce que nous avons vu et perçu là-bas, et la terreur nous gagne. Mon amour m’interdit d’employer l’expression « paroi rocheuse », pourtant je ne mentionne pas la mousse d’un vert très sombre qui recouvrait les pierres et ne décris pas mon sentiment d’horreur quand j’ai compris que je ne me trouvais pas dans les ruines d’une gentille cabane mais dans un potentiel guet-apens, une impasse naturelle avec plein de trucs contre-nature dedans, tels qu’un marteau et un seau sur lequel séchait un truc pourpre. Je prie en revanche ma bien-aimée de bannir l’expression « chasse à l’homme » et d’arrêter l’inventaire de tout ce qui pourrait se trouver sous la bâche et dans le sac poubelle au fond à droite.

(C’est là, quelque part. On ne voit pas les dénivelés depuis le satellite, mais sous les arbres il y a une paroi rocheuse pleine de mousse.)

Je revois les différents aspects du site et frémis d’y avoir couru plusieurs fois avec insouciance, et d’y avoir amené mon amour – qui, m’assure-t-elle maintenant, n’a cessé de regarder derrière nous, tout le temps que nous nous y sommes promenées tout à l’heure (moins d’une heure, bien sûr), tant l’endroit lui faisait peur. Je décide d’envoyer les coordonnées du lieu et ma photo floue à la police. Demain. En sept ans d’arrière-mondes variés, jamais je n’ai vu un truc aussi inquiétant – pourtant j’ai déjà eu quelques frayeurs.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 0

Joggeur(s) : 0

Mails, SMS et appels de travail : 1

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Non

JC+27

Ce matin, je cours avec un sac en papier à la main. Dès que j’entre dans son champ visuel, Danny fait pivoter ses oreilles. Je décide que la distribution se fera à l’autre bout de l’enclos, où se trouve sa poulette. Alors, pour la première fois, Danny court auprès de moi. Je vois qu’il s’efforce de ne pas me dépasser, ou pas trop : il m’attend. Il est joyeux et donne des coups de tête vers moi. Je suis si émue que je ris et me mouche en même temps. Quant à lui, il est déçu quand il découvre que mon sac en papier ne contient que des épluchures. Elles sont bio, je plaide. Mais pour lui, ce n’est qu’une poignée de chips.

(La pâture de Danny se situe sur cette vue satellite entre l’A211 et la route dont j’ai gommé le nom pour préserver la tranquillité de mon ami âne et de sa poulette.)

Le détritus du jour

Mon nouveau terril secret pourrait me fournir assez de détritus du jour jusqu’à la fin du confinement même s’il devait durer jusqu’en août. Se pose la question de l’après : comment dissuader les joyeux usagers nocturnes du site d’y laisser leurs mouchoirs en papier pleins de pipi, canettes, emballages de charcuterie, sachets de chips, etc. ? Comment user de pédagogie auprès d’individus trop décérébrés pour se dire qu’ils auront peut-être envie de revenir pique-niquer au même endroit, un autre jour ? Parler environnement ou civisme, je ne l’envisage même pas. Après mûre réflexion, je miserais plutôt sur la menace d’un AK-47.

Le vide du jour

nous amène aujourd’hui à considérer une autre forme de pollution : la pollution visuelle agréée.

En discutant au téléphone avec ma meilleure amie, je me rends compte que je n’ai pas lu les informations depuis trois jours : je reviens à ma position du « temps normal », en retrait de la vie publique. Mon amour dit qu’il n’y a rien, ces jours-ci, de toute façon, et nous finissons en chœur : Que des chiffres, elle sur un ton affirmatif et moi, interrogatif. Je finis par oublier pour quelle raison je ne peux pas sauter sur Mon Bolide et aller pulvériser dans la nature mes pulsions d’AK-47. J’oublierais sans doute totalement le contexte si je ne croisais tant de gants en plastique.

Le gant du jour

essaie de nous faire croire qu’il n’a que quatre doigts – un truc d’enfant – sauf qu’il n’est pas tourné dans le bon sens – vraiment un truc d’enfant…

Ce soir, nous écoutons le discours du président banquier en prenant l’apéritif. Nous avons fait des pronostics, non sur les informations qu’il va nous délivrer mais sur les formules éculées qu’il va employer, ses figures rhétoriques, son degré d’autosatisfaction. Nous applaudissons chaque fois qu’il nous donne raison, l’ambiance n’a pas été aussi chaleureuse ici depuis bien longtemps et il faut bien admettre que le grand homme fait beaucoup pour l’unité de notre foyer.

La musique du jour

Ce titre de Cruel Diagonals (la Californienne Megan Mitchell) est publié par un label de Sydney, le bien nommé Longform Editions, dont on reconnaît les pochettes au premier regard – la charte graphique est très stricte, aussi classe que sa ligne éditoriale. On trouve aussi sur ce label de belles pièces de Lau Nau, Matchess, Kajsa Lindgren, Kate Carr, Lisa Lerkenfeldt, Felicity Mangan, Jasmine Guffond, Laura Luna Castillo, Marja Ahti, Anna Peaker, Midori Hirano, Alison Cotton, Caterina Barbieri et plein d’autres femmes formidables dont il a été souvent question ici. J’en écoute plein, aujourd’hui.

Le conseil lecture du jour

Je sais que certains d’entre vous profitent du confinement pour apprendre à lire les cartes – non, pas les cartes du ciel, comme je le recommandais il y a quelques jours, mais les cartes du tarot divinatoire, ce contre quoi je n’ai rien à redire. S’il se trouve parmi vous des aspirants haruspices végétariens ou végétaliens, sachez que l’on peut apprendre à lire dans les entrailles d’inanimés. Laissez ce poulet tranquille (ou vous aurez affaire à moi, et n’oubliez pas mon AK-47). Par exemple, apprenez à lire dans les entrailles des armoires électriques. Voilà qui devrait vous occuper un moment.

La bonne nouvelle du jour

Je n’ai pas d’AK-47.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 7

Joggeur(s) : 0

Mails, SMS et appels de travail : 2

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+26

Tous les jours, un couple fait 13 fois le tour du lycée en marchant d’un bon pas. C’est un couple mixte (un homme et une femme) et prudent (son tour, d’après mes estimations satellite, a un diamètre d’à peu près 130 m), qui sans doute vit dans l’enceinte du lycée. Il doit y avoir des logements de fonction dans le lycée, car des gens courent là aussi (leur boucle, d’après mes estimations satellite, fait à peu près 400 m : fun). Les gens qui vivent dans le lycée sont des gens qui ne risquent ni contamination ni amende.

La bonne nouvelle du jour

Même dans un rayon relativement étroit autour du domicile où l’on pratique pendant une heure maximum l’exercice physique de sa personne, on peut encore être surpris. Aujourd’hui, lassée de courir dans

Le vide exact du jour

qui est un vide que je traverse assez souvent, ces temps-ci,

j’ai décidé d’escalader un talus assez haut et dont la teinte noire, sous la végétation, m’avait toujours paru assez mystérieuse. Il y a eu 326 terrils dans le coin, à une époque (certains ont été rasés, pour exploitation ou autre) et tous ne sont pas aussi spectaculaires que le 11/19. J’ai pensé qu’il y en avait peut-être un là-dessous – sous les ronces, les orties, etc. Et mon intuition était juste, comme je l’ai découvert une fois là-haut.

C’est un terril modeste et discret, avec vue sur d’autres terrils plus imposants, mais aussi sur des voies ferrées

et c’est un terril particulièrement arboré.

C’est aussi un haut lieu de hot fun

et d’écologie, puisque l’on y a introduit diverses espèces a priori plutôt rares dans les zones boisées de la région :

le kleenex (dont on suppose qu’il a touché un cul féminin après pipi nature) fleurit dans la moitié des arbres et arbustes qui poussent ici, tandis que

Le détritus du jour

se fond parfaitement au décor, ce qui me donne l’occasion de vous proposer un nouvel épisode de votre Grand Jeu Concours préféré : Où est caddie ?

Il a dû en falloir, des efforts, pour acheminer un caddie jusqu’ici : des centaines de mètres sur des chemins de terre tels que celui-ci

et parfois des descentes abruptes dont le schiste par temps sec tend à s’ébouler sous la roulette comme sous le pied. Si j’avais une photo du héros de la brousse à l’origine de cette introduction d’espèces exotiques, je l’afficherais sur un arbre avec un grand MERCI en légende.

Le gant du jour

se mêle tout aussi bien à la nature.

La musique du jour

Il y avait bien longtemps que je n’avais écouté Gazelle Twin. Over the Hills et l’ensemble de l’album Pastoral me semblent compléter idéalement cette escapade sur mon nouveau terril secret.

Le conseil lecture du jour

Si vous aimez lire, sans doute y a-t-il des livres chez vous. Même en admettant que vous en empruntiez parfois à la bibliothèque, vous devez bien en avoir deux ou trois sous le coude. Ou dix mille, si vous avez un goût particulier pour la décoration d’intérieur. Eh bien, c’est l’occasion de les relire – ou de relire certains d’entre eux si vous êtes plutôt du côté déco. C’est une pratique peu répandue, notamment parce qu’on ne peut guère en tirer de prestige, la gloire du lecteur étant le nombre de ses conquêtes littéraires (on se fait Proust comme on se ferait le Mont Blanc), mais un livre peut se relire et, mieux encore, il gagne à être relu même si on connaît déjà l’histoire puisque l’intérêt d’un texte littéraire réside dans bien d’autres choses que dans la narration. Et puis c’est édifiant, de relire : on a pu adorer tel texte quand on avait vingt ans de moins et se demander aujourd’hui ce qu’on pouvait bien lui trouver alors. Comment s’abstiendrait-on de recommander une petite daube dont le souvenir béat jaunirait depuis des décennies dans notre esprit, si l’on ne prenait la peine de vérifier qu’il n’entrait pas dans notre adhésion passée une erreur de jugement due à la jeunesse ? Relire, pour les plus férus de sociabilité d’entre nous, est aussi une précaution utile.

Aujourd’hui, des nuages bienfaisants après la chaleur piquante, et même un arc-en-ciel.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 13

Joggeur(s) : 1

Mails, SMS et appels de travail : 0 (Vive le dimanche de Pâques ! il n’a guère d’égal que le 15 août)

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+25

Le vide du jour

(Blanches Laines, Sallaumines,
à deux pas de chez la jeune athlète.)

Le détritus du jour

Je l’ai promis hier, le voici : Capri Sun n’a pas dit son dernier mot, même si les gants et masques lui ont volé la vedette sur nos trottoirs et pelouses, dans nos caniveaux, parcs, squares et fourrés. Comme nous, Cap’s (comme l’appellent ses amis) attend avec impatience le vaccin du Covid-19.

Le conseil lecture du jour

Sortez de votre sas de décontamination tous les articles (Cap’s et autres) achetés lors de votre drive de la semaine dernière ; quand vous ôtez les emballages que vous croyez superfétatoires, prenez le temps de les lire, de savourer leur poésie. Ou peut-être estimez-vous que la poésie n’est pas utile ? Un extrait de mon roman Le zeppelin qui rend hommage à la poésie d’emballages alimentaires :

« – Tu vas payer un tiers plus cher pour une marque alors que les sous-marques proposent le même produit dans des emballages différents ? Regarde, même les photos sont quasiment identiques.

– C’est vrai. Mais je préfère les promesses d’extase que nous adressent les marques. Des recettes originales au cœur d’un délicieux chocolat pour des instants magiques. Tu préférerais Des recettes banales au cœur d’un chocolat grossier pour des instants pesants, peut-être ? Des pâtes aux vieux œufs ? j’ajoute en brandissant un sachet qui garnit mon panier.

– Des ouvertures difficiles ? ajoute Selma en me désignant un paquet de parmesan râpé au fond du sien.

– Du beurre dur, difficile à tartiner.

– Des boissons à servir tiédasses, Selma poursuit l’inventaire.

– Un gel douche qui éteint vos sens et irrite votre peau.

– Ces chips plus molles et plus pâteuses grâce à un procédé de fabrication honteux et un emballage poreux gâtant la saveur d’origine de la pomme de terre.

– Et ce café dont nous avons sélectionné les grains comme des cochons.

– Je préfère ce thé au goût égalable et de qualité douteuse pour mal commencer la journée. »

Le gant du jour

Avec cure-dent. Cette image est aussi l’occasion de montrer qu’à Lens, nous n’avons pas que du bitume mais aussi de jolis sols de centre-ville, où on a plaisir à lâcher son gant usagé.

La bonne nouvelle du jour

Mon ami figuier a vécu en pot pendant sept ans dans une cour commune à Lille, France ;  le 9 novembre 2019, jour de ma libération et de mon emménagement à Lens, il a trouvé place dans mon jardin, en pleine terre. Ses racines avaient oublié ce que ça faisait de s’étirer sans limites. J’étais inquiète, ces derniers jours, parce qu’il ne bourgeonnait pas. Son squelette d’à peine deux mètres faisait peine sous l’immense Carol-Anne. Mais aujourd’hui, le voici qui sourit au printemps. Une vie a été sauvée : qu’elle soit longue et belle !

La musique du jour

Ce soir, je quitte la table de la belote après la deuxième partie (bien que je l’aie gagnée, je le précise pour écarter toute médisance), horripilée – presque oppressée – par les cris des adolescents. Mon amour dit qu’ils s’amusaient. Je mesure chaque jour le bonheur de ne pas m’être reproduite : je suis incapable de trouver attendrissantes des manifestations de joie si bruyantes. Je préfère écouter les oiseaux chanter harmonieusement, et les étoiles grésiller, et les feuillages frémir – dans le jardin déserté par la jeune équipe adverse, qui a regagné ses écrans dès après ma défection.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 5

Joggeur(s) : 1

Mails, SMS et appels de travail : 1

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+24

Ce matin, bonne surprise : ma chaîne hifi  n’est plus aphone. Demain, j’essaie la machine à laver. Polty, parfois, a un humour vraiment très potache, qui n’amuse pas notre collégienne : elle a peur de lui – un tel cornichon, et qui ne ferait pas de mal à un gendarme (nous avons une invasion de gendarmes dans le jardin). Bref, Polty a enfin rendu la chaîne hifi et ça tombe bien parce que c’est aujourd’hui que paraît Jacqueline, qui sera

La musique du jour,

C’est le nouvel album de la chicagoane Haley Fohr sous le nom de Jackie Lynn (elle utilise aussi le pseudo Circuit Des Yeux). C’est un album plutôt surprenant. Il me rappelle un peu l’esprit de Bodies Of Water, par endroits. Je vais l’écouter en courant ce matin avec mon clou dans le bas du dos, je ne fais pas le même choix qu’hier, je sauve le système nerveux et l’emmène danser dans le vide des villes que seules sillonnent  les voitures de police.

Le conseil lecture du jour

Lisez les interphones, boutons de sonnette et boîtes aux lettres autour de chez vous (dans un rayon d’1 km), relevez les noms dans un carnet. Amusez-vous. C’est ce que j’ai fait en 2006 quand j’écrivais la première mouture du Zeppelin : je patrouillais sur mon vélo Gaspard dans un périmètre supérieur à un kilomètre autour la maison de retraite où je vivais, m’arrêtais devant les résidences semblables à la mienne (voir ci-dessous) pour relever les noms intéressants sur les interphones.

(34 bis avenue du Colysée à Lambersart.)

Extrait d’une préface inédite du Zeppelin : « Que penseraient les auteurs si cérébraux qu’il lui est arrivé de côtoyer, s’ils la voyaient relever dans son carnet des patronymes qui l’amusent ou l’étonnent – onomatopées (Hug), noms de type anatomique (Membre, Talon), nombres (Dix-Sept), noms communs (Commode, Soulier), noms dont elle pense qu’ils siéraient à des animaux mythiques (Cohidon, Rouffle), à des outils techniques qui n’ont pas été inventés (Truche, Cruette), ou à des mets régionaux d’origine douteuse (Cockenpot, Vroomhout, Goffette, Bettaver) – au cours d’enquêtes menées dans différents quartiers des petites villes alentours (son recensement volontairement centré sur la maison de retraite et ses nombreux clones), penchée sur les interphones auprès de son vélo comme un Mormon multicolore ? »

(J’ai gardé une page du carnet. On y reconnaît quelques noms de mes personnages : Cockenpot, Cohidon, Goffette, Vroomhoot, Cruette, Daux, Membre, etc.)

Ce qui arrive quand on laisse un parc ouvert à Lens (2) :

Avant le Skypero avec mes meilleures amies, mon amour et moi goûtons

Le vide du jour

dans les rues de Sallaumines

et, pour la première fois, empruntons le nouveau pont, presque achevé, au-dessus des voies ferrées entre Blanches Laines et la ZAE de la Fosse 5. C’est important pour moi, de franchir pour la première fois un pont, une passerelle ; tout ce qui désenclave (tunnels, passerelles, trous dans le grillage) me passionne. J’étais heureuse de l’emprunter pour la première fois avec mon amour – surtout ce pont précis, près du parc de la jeune athlète, un lieu de ma mythologie personnelle.

Notre lapin du jour est en plâtre blanc et mon amour le traite de quasi Disney.

(Il est à droite sur cette vue streetview.)

Si nous avons renoncé ce jour à notre spot de lapins, c’est pour rendre visite à Danny et à sa poulette. Nous sommes surprises de voir un attroupement devant la ferme, à l’angle de la rue, où a lieu une vente dans les règles de sécurité. Nous nous arrêtons une centaine de mètres plus loin, lançons deux carottes à Danny et un petit Tupperware de coquillettes à sa poulette. Ça les met d’humeur si joviale que Danny taquine la cocote, lui grignote les plumes.

C’est un moment très joyeux, même si Danny est jaloux parce qu’il a moins de carottes que sa poulette n’a de coquillettes. Mon amour suggère que la prochaine fois, on les lui râpe. Désormais, Danny et moi somme si amis que parfois il brait pour moi et, le plus souvent, il marche ou court auprès de moi jusqu’au bout de son enclos pour me dire au revoir, à demain.

Le gant du jour

Un élément désormais parfaitement fondu à son environnement,

au point qu’il pourrait presque finir par supplanter l’ultime détritus, le déchet de la décennie : le Capri Sun. Qu’est-il devenu ? Nous mènerons l’enquête demain. En attendant,

Le détritus du jour

n’est pas sans intérêt, dans la mesure où il est aérien, ce qui reste assez marginal.

Le soir, je (re)découvre les joies du Temesta, pour sauver mon système nerveux dont la résistance de type Michael Myers, assez terrifiante, m’épuise littéralement. Je n’aime pas la chimie mais à circonstances exceptionnelles, etc.

La bonne nouvelle du jour

Demain, c’est samedi, le caviste est ouvert à Lens !

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 1 (plâtre)

Mails, SMS et appels de travail : 7

Joggeur(s) : 3

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+23

Mon amour et moi regardons la rosée perler sur la pelouse du jardin (ou devrais-je dire sur ses adventices ?) et nous écoutons des dizaines d’oiseaux  mêler leurs chants. Soudain, l’un d’eux lance une mélodie courte, puis elle est reprise par les autres, pas tout à fait à l’unisson, et je me demande si Meredith a pensé aux oiseaux quand elle a composé Tokyo Cha Cha : on peut entendre le même phénomène ici – ça commence à 6’16 (mais ça ne fonctionne que si on écoute ce qui précède), Allison lance une série de syllabes dans les différentes lignes vocales entremêlées, chacun finit sa boucle et entonne la même ligne qu’elle à 6’28. C’est un de mes passages préférés, je le trouve à la fois drôle et beau. Encourageant.

(Moi, c’est le corps massif, et mon amour, le délicat.)

Ce matin, je calcule à très long terme : il me faut choisir que sacrifier, de mon dos douloureux depuis le gonflage d’un matelas pneumatique, hier soir, ou de mon système nerveux particulièrement éprouvé ces derniers jours, comme en atteste ma tempe droite striée de nouvelles coupures (oh rien que de très superficiel), mais si la douleur se transforme en blocage complet, combien de temps devrai-je subir une immobilité que mon tempérament explosif ne saurait tolérer sans dommage ? Je pense à cet homme qui, au tout début du confinement, a jeté ses meubles par la fenêtre de son appartement au treizième étage d’une tour sise près du Triangle, à Rennes – où je devrais être cette semaine – et je me dis que si je faisais une chose pareille, mon dos ne s’en relèverait pas. Un sacré Ouroboros que je contemple là. Finalement, je décide de sacrifier le système nerveux de ce 9 avril pour garantir la paix de Socorro dans les semaines à venir, de sorte que je parcours

Le vide du jour

en marchant. Je renonce à l’endorphine.

Le gant du jour

Nouveau ! Une fois par semaine, je répondrai à la question que nous nous posons tous au sujet des gants que nous avons croisés (dans un rayon d’un kilomètre autour de notre domicile etc.) et auxquels, parfois, nous nous sommes attachés : Que sont-ils devenus ? Ici, le gant que nous avons eu le plaisir de découvrir à JC+13. Vous serez, je suppose, heureux d’apprendre qu’en dix jours, il n’a ni bougé ni changé. Rendez-vous dans dix mois, puis dans dix ans, pour suivre notre poulain de plastique blanc.

Le conseil lecture du jour

Aujourd’hui, je vous propose un peu d’histoire : lisez les dates sur les bâtiments sis dans un rayon d’un kilomètre autour de votre domicile et demandez-vous : que s’est-il passé, cette année-là, dans un rayon de plus d’un kilomètre etc. ?

(Lycée Condorcet, mur à 63 mètres de ma porte d’entrée.)

Si vous n’aimez pas l’histoire (ça n’a jamais été mon truc non plus, pour tout dire), faites des mathématiques : calculez de tête le nombre premier le plus proche de chaque date croisée pendant votre heure d’exutoire, par exemple. Ici, c’est 1951. Vous pouvez poursuivre le fun en faisant des calculs qui incluent la date mais aussi la distance (en mètres) comprise entre son inscription sur le bâtiment de votre choix et votre porte d’entrée. Ici, par exemple, 1955 et 63. Ou encore, entre le nombre premier le plus proche de l’un des deux, ou de chacun. Ici, par exemple, 1951 et 63, 1955 et 61, 1951 et 61.

Le détritus du jour

Nos vélos rouillent à force de ne pas servir, alors on se sépare d’eux au coin des rues. Si je sautais sur Mon Bolide et roulais dans les champs ou au long du canal, je risquerais moins de croiser un être humain qu’en traversant le centre de Lens un jour de marché, mais ça m’est interdit et, comme disent notre collégienne et mon papy (qui fêtait hier ses 93 ans seul, quelle désolation, mais refuse toute visite masquée parce que c’est interdit), La règle, c’est la règle.

Aujourd’hui, mon amour et moi célébrons les deux ans de notre rencontre. Il était 18h30 quand j’ai posé les yeux sur son visage pour la première fois dans un bar désert de Vendée, tandis qu’elle lançait avec désinvolture à ses collègues, qui m’accompagnaient et lui proposaient de se joindre à nous : À vos risques et périls. Tout un programme. De fait, notre histoire est pour le moins étonnante et pleine de rebondissements – ce genre d’histoire dont les gens qui n’écrivent pas disent aux gens qui écrivent, Tu pourrais en faire un roman. La veille de notre rencontre, j’avais envisagé le suicide dans une chambre d’hôtel, à Nantes, et en un battement de cils, celle que j’allais appeler mon amour a ramené la lumière dans ma vie. Et le lendemain, j’interrompais ma course à pied pour danser de joie, dans une clairière, sur un morceau d’Anna Meredith – qui sera aussi

La musique du jour

J’étais guérie, sauvée – la spirale qui m’entraînait par le fond : enrayée. Ce soir, quand nous arrivons dans notre repaire verdoyant, à 18h30, 29 lapins nous attendent avec des banderoles « Joyeux anniversaire » et « Félicitations », et trois canards nous font la surprise d’atterrir là, sur la colline, en riant aux éclats. Merci, les amis !

La bonne nouvelle du jour (à confirmer à la fin du confinement)

L’amour peut survivre au confinement. Vive l’amour.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 29

Piéton(s) : j’arrête de compter les piétons, ça m’ennuie, désormais, je compterai les

Mails, SMS et appels de travail : 7 (qu’on ne dise pas qu’écrivain, ce n’est pas un vrai métier. Je profite de l’occasion pour relayer ici cet aveu d’une amie qui travaille dans les hautes sphères de la grande distribution : « Je ne travaille qu’une heure par jour mais j’avance autant qu’en une journée hors confinement parce que je n’ai plus de réunions qui servent à rien. » Pour ma part, je ne trouve toujours pas le temps de répondre à mes mails.)

Joggeur(s) : 1

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+22

est le jour où j’envisage de me défenestrer.

Le vide du jour

Tout. Tout est vide. Je me sens seule dans une espèce qui, frappée par l’horreur, ne fait que développer des applis, des tutos, des réseaux de merde. Je n’en peux plus de lire des mails et des sms qui s’achèvent par « bises confinées ». On le sait, qu’on est confinés, c’est bon, lâchez-moi. J’étouffe dans l’espèce et je me sens seule à la fois, quel absurde inconfort.

(Vide avec détritus : sapin de Noël roux ( rose). Il n’est jamais trop tard.)

La musique du jour

Goodbye, chère amie, magnifique morceau du groupe cajun Magnolia Sisters, idéal pour dire adieu à mon lave-linge, qui nous a lâchés hier, en plein confinement. Et merci bien.

Ma chaîne hifi aussi a rendu l’âme, le même jour, c’est donc avec un casque sur les oreilles que j’écoute aujourd’hui

L’autre musique du jour

quant à elle très proche de ce que je ressens.

Et Le conseil lecture du jour, alors ?

Eh bien, reprenez toutes vos attestations de sortie depuis le début du confinement et relisez-les avec émotion, en vous rappelant ce que vous avez fait tel jour, à telle heure. (C’est également un exercice très stimulant pour la mémoire.)

Le gant du jour

Aujourd’hui, je me sens comme une vieille merde desséchée alors je choisis des photos de bitume. Ici, je trouve que les lignes composent un beau tableau abstrait, sur lequel ce gant presque habité, ouvert comme une main, m’évoque mon sentiment du jour, que l’on pourrait résumer par Au secours, un au secours sans le son, faute d’air, comme dans les cauchemars.

Le détritus du jour

Un élastique brillant pour que le monsieur confiné dans le bitume puisse jouer à la balle / au cerceau / au yoyo / au bilboquet.

La bonne nouvelle du jour

Les pâquerettes le font. Vivre confinées, à l’ombre des barreaux. Elles nous montrent l’exemple de la patience, nous enseignent le sens de l’absurde et nous rappellent notre condition d’animaux sociaux agglutinés dans le béton. Je vais mettre une banderole Merci les pâquerettes sur ma fenêtre côté rue, tiens.

Un lézard et moi regardons  passer avec nostalgie un des rares TER qui circulent encore et dans lequel lui comme moi, pour des raisons différentes, sommes persona non grata. Je découvre que son muret, tout comme la véloroute, est un spot de lézards.

Sur la véloroute aujourd’hui, le garçon qui me rappelait hier Duelling Banjos de Délivrance erre toujours avec son seau. Nous tâchons de deviner ce qu’il cherche. Comme hier, il a une bouteille vide à la main. Je suppute qu’il ramasse des bouteilles consignées mais il me détrompe : Vous ne voulez pas m’aider à attraper des lézards ? nous demande-t-il. Je suis horrifiée : Il ne faut pas attraper des bestioles, je lui dis. C’est pour mon serpent, ajoute-t-il. Je couine un Jesus désespéré en poursuivant mon chemin vers les lapins. Heureusement, il reste les lapins.

Avant de me coucher, je me bloque le dos. Journée de merde.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 19

Piéton(s) : 5

Joggeur(s) : 3

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui