Des nuisibles

pourquoi les chasseurs régulent la population de lapins :

c’est parce que les lapins mangent tout

ils mangent les parterres municipaux les potagers du contribuable et les berges des canaux

ils mangent le bitume mangent le béton mangent le ciment mangent les parpaings mangent le placo mangent la pierre blanche mangent le granit mangent les briques rouges ils mangent le marbre mangent les tuiles mangent l’acier mangent le bois mangent le verre mangent le plexi mangent le plastique mangent la porcelaine mangent le stratifié mangent le caoutchouc mangent le mélaminé mangent la fibre optique mangent la fibre de verre mangent la laine de verre mangent la laine de roche mangent le papier mangent le tissu mangent les perles des huîtres mangent les cailloux de la terre mangent la soie des vers mangent la laine des moutons mangent la peau tannée des vaches mangent la fourrure des hermines des visons des zibelines mangent la robe des renards des astrakans des lapins

ils mangent les centrales nucléaires les éoliennes les élevages intensifs les abattoirs les ponts les autoroutes les viaducs les téléphériques les voies ferrées les bateaux-mouches les centre-villes les centres de détention les centres de rétention les centres hospitaliers les centres de loisirs les centres commerciaux les centres de données les centres administratifs les complexes sportifs les supermarchés les statues de maréchaux les fermes les parcs zoologiques les crèches les casernes les ephad les groupes scolaires les pépinières de startups les ZI les ZA les ZAC les ZUP les ZUS

ils mangent les champs ils broient les arbres ils dévorent les forêts ils boulottent les bois ils bèquettent les bosquets ils bâfrent les pâtures ils ingurgitent les prairies ils se font les monts ils s’enfilent les collines ils se tapent les montagnes ils grignotent les canyons ils picorent les volcans ils rabotent les grottes ils avalent les marais ils s’envoient les rivières ils lampent les étangs ils absorbent les fjords ils éclusent les geysers ils sirotent les chotts ils consomment les mers ils suçotent les glaciers ils épongent les lagons ils engloutissent les océans ils se gargarisent des récifs coralliens ils sifflent les piscines ils font cul sec des pédiluves

et en plus qu’est-ce qu’ils se reproduisent

ils ont sans doute des vues sur l’espace

et depuis,

silence radieux

(© Aline)

Ce soir, mon Antique a employé l’expression silence radieux ; c’était un lapsus bien sûr mais, pour moi, c’est comme si un nouveau soleil venait d’apparaître dans le ciel des mots et des concepts (peut-être parce qu’à cause des acouphènes, j’ai cessé depuis longtemps de croire à la possibilité du silence) alors j’ai envie de le partager ; à terme, j’aimerais qu’il devienne un titre relatif à Permanent Draft, comme Basta Now. En attendant, il sera le titre de ce blog.

SANGLIER

Hier, entre les gares de Strazeele et de Hazebrouck, au milieu des champs, j’ai repéré une infrastructure que j’ai identifiée comme un mini mini barrage sur la Borre Becque ; quelqu’un y avait peint en grandes lettres le mot SANGLIER. Après enquête, il s’agit bien d’une zone d’expansion de crue (ZEC) pour lutter contre les inondations des communes fortement impactées, dont voici une vue du ciel trouvée sur un site Internet :

Je me suis arrêtée de pleurer un instant et je suis restée bouche bée. Qui peint le mot SANGLIER au milieu des champs ? Pourquoi ce mot ? Est-ce le blaze d’un graffeur ? Je n’ai pas eu le temps de prendre une photo mais j’y retournerai, de toute façon visiter Hazebrouck est l’une de mes priorités dès que j’aurai un peu de temps (on y trouve un délicieux Kitsch & Lutte des Classes, notamment un cheval remarquable, sinon le plus remarquable de ma collection à ce jour – bientôt en ligne ici).

(Photo prise par Valentina près d’une salle de concert à Londres, la semaine dernière)

Cette nuit, j’ai rêvé que je marchais dans le parc de la Villa Youyou et que je repérais une empreinte de sanglier dans de la boue à moitié séchée, la pince et la garde nettement marquées. Je regardais autour de moi fébrilement et repérais deux autres empreintes. Puis je me suis réveillée.

de Liège (2)

  1. ville de Liège
  2. unité mobile de formation
  3. passerelle plongeoir
  4. escalier déconseillé
  5. cercle de rien
  6. tuyaux
  7. sens du poil
  8. tout petit cirque
  9. bitch bouche bavant…
  10. … un fleuve
  11. arbustes en forme de bennes à verre municipales
  12. ici tous les bijoux sont vendus
  13. faune d’un labyrinthe de plastique rouge et blanc
  14. la phénoménologie de l’esprit
  15. tiens, on dirait que quelque chose se prépare, par ici
  16. chevalement de comptoir
  17. labyrinthes de plastique rouge et blanc

de Liège

mini pause blog dans un programme chargé (8h-minuit) ; mais qu’est-ce qu’on s’amuse…

Au Comptoir du Livre à Liège

signalétique onirique

j’ai rêvé que je courais dans un bois et qu’un sanglier s’amusait à courir auprès de moi comme certains chiens qui vous sautillent autour des chevilles, non pour les mordiller mais parce qu’ils veulent être de la fête donc je courais sur un chemin de gravier cependant qu’à l’orée du couvert le sanglier courait aussi gaiement ; quand soudain il a disparu derrière des fourrés, je me suis arrêtée pour tendre la tête et voir ce qui se passait de l’autre côté : il s’était arrêté lui aussi et tendait la hure vers moi ; j’ai ri et repris ma course en sachant qu’il faisait de même et de fait, au coude du chemin, là où les fourrés s’interrompaient, je l’ai vu qui avait pris un peu d’avance sur moi et gambadait maintenant au milieu du chemin, or il y avait là trois êtres humains de sexe masculin sans camouflage ni gilet orange mais j’ai vu le plus proche de moi épauler un fusil et viser le sanglier, alors j’ai couru en agitant les bras et en hurlant Laissez-le tranquille, j’ai couru assez vite pour rattraper mon ami et m’interposer entre les fusils et lui puis je me suis réveillée

(autoportrait, décembre 2017)

Fatima

entre deux gares dans ma tête
en tourbillon des brouillons de lettres
que j’hésite à t’écrire et sous mes roulettes
les trottoirs étroits et sales de ta ville


est-ce que je serre les mâchoires ?
les larmes tiennent bon dedans
je renverse la tête comme les enfants
quand ils saignent du nez – ça marche


j’avance de mon pas vif et ça commence par
Mon amour, un brouillon après l’autre
je dépasse une femme je serre peut-être
les mâchoires je ne sais pas je ne pleure pas


et la femme que je dépasse me demande
ce qui ne va pas je redresse ma valise
le temps se suspend sur le trottoir là juste
devant le square Montholon immobile


je fais face à l’inconnue je lui parle de toi
elle avance des hypothèses me prodigue
des formules pour continuer sans
toi s’il le faut et cesser de souffrir


les minutes passent et je souris grâce
à Fatima B., 58 ans, avocate et formatrice
d’avocats qui ne me trouve pas si foutue
que ça – ma bonne fée du jour – merci

(Plus loin, de nouveau entre deux gares.)

Lady & laie

En courant ce matin je me suis amusée à écrire ce petit truc idiot dans ma tête.

depuis la charge du sanglier
il y a deux semaines jour pour jour
dans la forêt de Bord-Louviers
je pense moins à toi, mon amour

sa silhouette souvent traverse
inopinément mon cerveau
comme le fait aussi sans cesse
la réminiscence de ta peau

qu’avez-vous donc, sublime dame,
laie sauvage, à protéger
vos petits d’une végane dont l’âme
sensible n’est d’aucun danger ?

A la Factorie, Anna, Maud et moi aimions interpréter nos rêves, les cartes tirées du tarot des plantes et les diverses circonstances de la vie. Aujourd’hui, j’ai compris ce que ma rencontre avec le sanglier (qui sans doute était une laie, j’en suis presque sûre, mais nous avons toujours dit sanglier aussi je vais m’y tenir), que cette rencontre était une allégorie : la laie a craint que je ne sois une menace pour ses petits parce que certains de mes congénères en sont véritablement une ; c’était d’une injustice révoltante mais son instinct en a décidé ainsi et désormais si je veux continuer de me promener dans la forêt, il me faudra cesser de craindre une nouvelle infortune, car tous les témoignages disent que de telles charges sont rarissimes : un joggeur dit avoir croisé des dizaines de sangliers dans sa vie sans incident. Maud me dit qu’un jour, on rencontre quelqu’un qui nous traite avec égards et douceur et qui ne partira jamais.

(Illusion d’optique au bord de l’Eure : j’ai pris cette défense pour quelqu’un d’autre – c’est ça, l’obsession : on voit des sangliers partout.)

Ma poussière caresse le monde

La Factorie est un lieu magnifique sis sur la belle petite île du Roi. Le hall d’entrée, pourpre et cosy, avec son bar, ses bibliothèques, son piano, ses canapés, ses tapis, est notre QG du soir ; dans la journée, chacun.e travaille de son côté. Ma salle préférée, l’une des trois salles de spectacle que compte le lieu, est celle-ci :

On peut y danser ou y écrire en regardant les poules d’eau sur la rivière.

Cet après-midi, j’y ai écrit un poème dans mon carnet ; je raconte ma promenade très étrange d’hier à Val-de-Reuil et à la réserve ornithologique. En voici le brouillon.

je suis rendue à la poussière
le vent me disperse le vent
fait de ma poussière une caresse
à la surface vive de la rivière
où canards et poules d’eau se laissent dériver
tournant sur eux-mêmes à grande vitesse
comme ayant perdu le contrôle
de leur véhicule et cependant
impassibles et n’opposant aucune résistance
au mouvement circulaire
usagers blasés d’un grand huit
sans cri de peur ni de joie ni sourire
ma poussière caresse les vaguelettes vives de la rivière
peigne la ripisylve qui s’y trempe
troncs et branches détrempés
ma poussière caresse toutes choses terrestres à portée
de mon regard et au-delà caresse
ce qui est mais aussi ce qui fut
la peau qui fait défaut à la pulpe de mes doigts
et un infini tapis de ronces si dense qu’il
semble masquer un abîme
et la peinture écaillée craquelée des balcons
de la ville nouvelle et le vide de la dalle
et le dédale de ses passerelles
et les cellules commerciales en décrépitude
et à la périphérie des routes sans
trottoir à la croûte de bitume fissurée
où mon corps se recompose
danse et sanglote et saute et boxe l’air
qu’aucune brise n’anime plus
boxe le monde à gestes secs et saccadés
boxe l’absence de celle
boxe la trahison
boxe le manque pour ne pas le plonger
dans la rivière vive où glissent les ragondins

Racines grasses, pointes sèches

Je n’en peux plus, de toute cette beauté qu’on m’envoie par mail, heureusement que je n’ai pas de hache : je n’aurais plus d’ordinateur. Or j’ai plus usage du second que je n’en aurais de la première, celui-ci explosé. Exemples de beautés que je fendrais bien d’un grand coup sec :

« Belle journée à vous »

En principe, on écrit « à vous » en réponse à quelqu’un qui, le premier, aurait écrit « Belle soirée » ; le « à vous » a en quelque sorte valeur de « aussi ». Qu’est censé répondre l’esthète à qui on coupe ainsi l’herbe sous le pied ? « Belle soirée à vous à vous » ? Personnellement, je réponds « Bonne soirée à vous aussi ».

« Belles fêtes de fin d’année ! »

Ta mère, tu ne sais rien de ma vie, tu ne sais pas si je vais passer les fêtes toute seule à manger des cornichons à même le bocal avec un bonnet à pompon, de quoi tu te mêles ?

« En vous souhaitant une belle soirée »

En principe, le gérondif précise une circonstance qui accompagne l’action énoncée par le verbe principal, sauf que dans l’exemple ci-dessus, il n’accompagne rien du tout. Que dirait la phrase principale si elle n’était omise ? « Je vous dis au revoir » ? Ou peut-être que la principale n’est pas omise mais bel et bien censurée : « Je me cure le nez » ? « Je vous mets un doigt dans le cul » ? Après tout, pourquoi pas ? « Je vous mets un doigt dans le cul en vous souhaitant une belle soirée », rien ne s’y oppose.

Et puis c’est quoi, cette manie horripilante de belle ceci, belles cela ? Bientôt vous verrez qu’on nous souhaitera un bel anniversaire. Il y a trop de niaiserie dans ce monde et ce n’est hélas pas la niaiserie qui nous sauvera de la violence, du cynisme et de la cruauté qu’il nous faut par ailleurs endurer. C’est double peine, comme ce terrible sort évoqué par certains flacons de shampooing : racines grasses, pointes sèches.