Hier, j’ai décidé de me donner mon après-midi : j’avais trop travaillé toute la semaine, sur trop de projets à la fois, mon cerveau boudait, il faisait beau, alors j’ai sauté sur Mon Bolide et cédé à l’appel de la forêt qui me taraudait depuis des jours. J’ai donc pédalé jusqu’à la forêt domaniale de Phalempin, avec un crochet par le bois de l’Émolière, qui en est une partie mais qui est sis entre Libercourt et Wahagnies (prononcez Vani). C’est là que, contre toute attente puisqu’il était 14h, j’ai aperçu Monsieur. J’ai dit Tiens tiens, bonjour. Il n’a pas bougé.

J’étais surprise qu’il ne m’aboie pas dessus car, bien souvent, c’est ce que font les mâles quand je cours ou pédale sur leur territoire, je m’entends mieux avec les chevrettes et les faons. Or c’était assurément un chevreuil, on le voit bien : il a des bois, pas de miroir en forme de cœur sur les fesses et puis, euh.

Un Monsieur, en somme. Qui n’a pas semblé dérangé par ma présence. Je lui ai dit que j’étais très touchée de sa confiance mais qu’il ferait bien d’être un peu plus prudent ; c’est à ce moment-là qu’il a commencé à se laver. J’ai insisté, j’ai tenté de le raisonner tout en regardant autour de moi pour m’assurer qu’un sanglier n’avait pas une insomnie, lui aussi. Puis nous avons repris chacun.e notre chemin. Qu’est-ce que j’étais censée faire ? Hurler, faire du bruit pour lui rappeler que les humains sont un danger ?

Je me suis arrêtée à la niche 5 étoiles de la Vierge Marie derrière l’église de Wahagnies pour lui demander de protéger les innocent.e.s des chasseurs. Par exemple, je lui ai suggéré avec diplomatie, tu pourrais leur souffler de troquer leur fusil contre un appareil photo. Cette fois, je n’avais pas oublié son allergie aux fruits à coque et lui avais apporté une barre de céréales aux pommes bio en offrande, j’avais mis toutes les chances de mon côté, pourtant elle m’a répondu assez agacée, « Qu’est-ce que tu lis sur mon autel ? Ave Rita ? » Merci beaucoup, ND, toujours aussi aimable.

Je suis rentrée de Phalempin en faisant des détours pour éviter les routes fréquentées. Alors que je traversais Estevelles, j’ai vu un California Dreaming particulièrement réussi.

J’ai préparé ce billet avant d’aller me coucher, hier soir. Et ce matin, il résonne étrangement après ce qui vient de m’arriver. Je courais au pied d’un terril, dans une ville qui laisse les canetons agoniser dans des bassins de rétention, quand j’ai vu un chasseur pourtant bien caché dans les buissons. Une caricature vivante en camouflage intégral, mais sans gilet orange puisqu’il était de toute façon dans l’illégalité (ici la chasse n’est pas autorisée le samedi), un vrai gros dur à moustache brosse, le fusil posé sur la crosse, contre sa jambe. Je n’ai pas réfléchi, j’ai dit qu’il n’avait pas le droit d’être là et que j’allais le signaler. J’ai continué de courir et soudain je me suis dit Mais enfin, tu es complètement stupide ou quoi ? Il a une arme… Ma spontanéité finira par me causer des ennuis. Et de fait, un coup de feu a retenti dans mon dos. Je ne sais pas s’il m’a visée ou s’il voulait juste me faire peur, je suppose que c’est la deuxième option (à savoir une menace de mort, tout de même) mais je tremblais quand j’ai appelé la police. Et maintenant, que faire ? Porter plainte ferait de moi une cible de tout le lobby (le fondateur de la fédération anti-chasse reçoit constamment des menaces de mort sous forme de balles dans sa boîte aux lettres, ce n’est pas une vie) alors je vais m’abstenir. Et laisser les types qui ont des fusils continuer de sévir dans la plus pure impunité. Ils ont l’argument suprême, le pouvoir de vie ou de mort, un pouvoir légal – au pire, ils prétexteraient l’accident de chasse : c’est puni par la loi, ça ? Ah oui, c’est passible de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende, selon l’article 221-6 du Code pénal. Tranquille.