3 jours

Elles et Eliot vont me manquer. Cette petite assemblée de personnalités inhabituelles. Nous avons passé trois jours en échanges incessants sur les processus de création, trois jours de discussions sans fin. Quelqu’un m’a dit que, depuis la salle, on entendait les rires qui provenaient de mon « cabinet » et qu’on se demandait ce qui se disait, là-dedans. C’était le son des univers qui s’étiraient, qui faisaient craquer leurs articulations, qui se demandaient ce qui viendrait ensuite – et cette question ne trouvera jamais de réponse, heureusement.

Après cette photo souvenir, nous avons de nouveau envahi un bistrot, cette fois nous étions 17 et nous avons bu 17 thés à la menthe. Puis j’ai eu le bonheur de retrouver mon amie Mel, que je n’avais pas vue depuis six ans <3

Au fil de la Souchez

Je vous en parlais ici : pendant deux ans, j’ai fait écrire des randonneurs liévinois tandis que la plasticienne et graphiste Oréli Paskal les faisait dessiner. Nous avons choisi de suivre une petite rivière qui, après son passage dans une buse sous la ville de Lens, se transforme en canal : la Souchez. Nous avons donc marché, puis les participant.e.s nous envoyaient leurs devoirs, que nous mettions en forme. Ce formidable petit groupe plein d’énergie, d’humour et de talent, attachant et haut en couleurs, n’a pas seulement produit une carte sensible mais aussi un carnet de route. Hier soir, ces super hurluberlus se sont réunis pour fêter la réception de ces beaux objets, qui seront distribués dans les quelques villes traversées par notre rivière super star. Nous ne comptons pas en rester là et avons hâte de nous lancer dans l’exploration d’un bassin minier insolite – dont les maisons penchées de Grenay (vues ici) seront assurément un beau défi pour les dessinateurs. (Comme tout le monde a l’air sage, sur cette photo… Comme c’est trompeur…)

Merci à Oréli pour les photos ci-dessous. D’abord, la carte proprement dite.

Son verso.

Le livret.

Ci-dessous, trois photos que j’ai prises avec les moyens du bord (une seule main, donc) pour vous donner un aperçu de la mise en page et des productions de nos incroyables artistes.

Ici, mon amie Marie-Thérèse et moi répétons nos lectures avant le début des festivités.

Ici ma mère lit, mon amie Hélène est très concentrée mais Élisabeth et Marc, pas tellement.

Le genre d’ambiance dans laquelle nous avons travaillé puis fêté notre travail…

Même s’il y a eu des moments plus solennels – ici, on voit à mon air aimable que je ne suis pas super fan du pont de contournement (alors en construction) de Courrières.

Tribu

Dans ma boîte aux lettres ce midi, le nouveau roman de mon amie Nat Yot, avec une dédicace et des remerciements qui m’ont beaucoup émue.

Par coïncidence, l’implacable et la réconfortante se rencontreront en mai aux Fours à Chaux de Regnéville, où elles seront toutes deux en résidence.

(Nat et moi faisant les andouilles pour notre amie IBL au marché de la poésie, édition 2021.)

/ 3 : divination batelière

Hier, je me suis octroyé un RTT pour me rendre à Lille à vélo par les chemins de halage. Je n’avais pas eu l’occasion de les emprunter depuis longtemps et les parcourir était un tel bonheur que je suis devenue quelque peu lyrique, me disant, Ce monde est mon monde – non pas le mien exclusivement, comprenez-moi bien, mais aussi le mien ; je me sens la plupart du temps si peu à ma place que ces épiphanies me sont terriblement précieuses. J’ai croisé un grand nombre de péniches, certaines que je connaissais déjà, et cinq que je n’avais jamais vues. Passons sur Cadillac et Njörd. Les trois qui m’ont interpellée sont celles-ci :

Novateur… Quel drôle de nom pour une péniche, me suis-je dit, sans plus, et je n’ai pas davantage réagi quand j’ai croisé Vaya Con Dios (il m’en faut plus qu’à l’époque où j’aimais voir un bon présage quand je croisais Bon Espoir, Serenitas ou Good Luck),

mais quand Futura est venue insister, j’ai compris que ces péniches m’annonçaient quelque chose. « C’est bientôt », me souriaient-elles. Très bien, je suis prête. Je l’étais tellement hier soir que j’ai été surprise de ne pas rencontrer le grand amour dans le bar où je retrouvais des amies – et où la moyenne d’âge hélas était de 26,5 ans – puisque pour le reste, j’ai tout ce qu’il me faut. Comme le dit la chanson des Gershwin,

Somebody loves me
I wonder who
I wonder who she can be

Un allié (encore une histoire de suidés)

Je suis tombée sur un article du naturaliste Pierre Rigaux et j’en ai les larmes aux yeux : je ne suis donc pas une illuminée ou une idéaliste. L’article est ici et voici sa conclusion :

« Le nombre faramineux de sangliers abattus chaque année* est la conséquence mal maîtrisée d’une volonté politique et historique de disposer d’une abondance de « gibier » à « réguler » par la chasse de loisir.

Dans l’inconscient collectif, le cas du sanglier permet au lobby cynégétique de justifier son rôle plus que discutable de « régulateur de la faune sauvage ».

Pourtant, les sangliers représentent à peine 1 à 2% de la totalité des animaux tués à la chasse en France.

Une majorité de ces animaux est issue, soit d’élevages de « gibiers », soit de populations sauvages en déclin ou ne nécessitant aucunement d’être « régulées ».

  • Ne faudrait-il pas changer de paradigme ?
  • Est-ce sensé de continuer à réfléchir en termes de tirs et d’activité de loisir ?
  • N’y a-t-il pas d’autres voies scientifiques et techniques à explorer ?
  • Est-ce raisonnable d’abattre massivement des sangliers parce qu’ils abîment des champs de maïs destinés à des élevages intensifs dont nous n’avons nullement besoin pour notre alimentation ?
  • Ne devrait-on pas refonder notre relation au vivant sur la base d’un meilleur respect des animaux, qu’ils soient sauvages ou domestiques ? »

* Plus de 600 000 sangliers sont abattus chaque année en France, au nom de la « régulation ».

(Photo de Luc Souret, par le biais de laquelle j’ai trouvé cet article qui devrait être très largement diffusé – oui, je regarde des photos de sangliers / laies / marcassins pour mon loisir, et alors ? Quelles splendeurs…)

Merci Pierre Rigaux, que le monde vous entende…

Fatima

entre deux gares dans ma tête
en tourbillon des brouillons de lettres
que j’hésite à t’écrire et sous mes roulettes
les trottoirs étroits et sales de ta ville


est-ce que je serre les mâchoires ?
les larmes tiennent bon dedans
je renverse la tête comme les enfants
quand ils saignent du nez – ça marche


j’avance de mon pas vif et ça commence par
Mon amour, un brouillon après l’autre
je dépasse une femme je serre peut-être
les mâchoires je ne sais pas je ne pleure pas


et la femme que je dépasse me demande
ce qui ne va pas je redresse ma valise
le temps se suspend sur le trottoir là juste
devant le square Montholon immobile


je fais face à l’inconnue je lui parle de toi
elle avance des hypothèses me prodigue
des formules pour continuer sans
toi s’il le faut et cesser de souffrir


les minutes passent et je souris grâce
à Fatima B., 58 ans, avocate et formatrice
d’avocats qui ne me trouve pas si foutue
que ça – ma bonne fée du jour – merci

(Plus loin, de nouveau entre deux gares.)

Regnéville, day 4

Il a plu toute la journée. J’ai travaillé les trente premières pages de mon manuscrit et je me rends compte que si je décris la nature de ce travail, ça ressemble terriblement à que j’ai appris sur la création électroacoustique chez Aude Rabillon la semaine dernière (et qui m’a déjà servi dans le texte) : j’ai parfois modifié la hauteur de mon brouillon, presque sa tonalité par endroits, sa vitesse dans certains passages, je l’ai étiré par endroits, j’ai inversé quelques structures de phrases, coupé allègrement, fondu des fragments et en ai dupliqué d’autres. Ensuite, j’ai retrouvé Emmanuelle Polle et nos interlocuteurs des Fours à Chaux et du département de la Manche et nous avons fait nos repérages pour la soirée du 5 mai : lectures de nos textes chuchotées par des volontaires à l’oreille de qui veut, sur des transats disposés face au havre :

lecture et musique avec Emmanuelle, Aude et moi, soit ici

soit, s’il pleut, dans la salle des fêtes de l’autre côté de la rue – hélas, le décor très lynchien (à la tour Eiffel près) aura été démonté.

Et c’est là qu’on dansera ensuite, sur ma playlist. Il y aura aussi des surprises et des guest stars. Après ces repérages, il y avait le jeudi des thés aux Fours à Chaux, où ma super coloc Marianne Dupain et moi avons présenté notre travail, et où j’ai fait une lecture de ma Suite du sanglier pour chevrotements et chaussettes roses. Puis on a bu quelques verres, Marianne et moi, selon notre nouvelle habitude. On ne danse peut-être pas mais, comme elle dirait, c’est cool, et je suis ravie de partager cette résidence avec elle. On se retrouve le 7 mars pour la suite de nos aventures dans la Manche. Ce matin tôt, je prépare ma valise en écoutant une chouette hululer, je n’ai pas vu passer cette semaine et c’est reparti pour des heures et des heures de train…

Regnéville, day 3

Aujourd’hui, j’ai rencontré des vaches de deux sortes : ce matin, en courant, la famille Badass que voici (vraiment pas commode)

et ce soir, à vélo, des vaches fascinées par le feu. Je connais la famille qui a fait ce feu ; hier, Monsieur a dû déplacer son tracteur pour que je puisse passer à vélo sur un étroit chemin communal miné d’ornières boueuses, en contrebas de la pâture que l’on voit ici. J’ai salué Madame et les enfants au passage cependant que Monsieur garait le tracteur devant sa ferme et nous avons échangé un signe de la main. Je me suis sentie autochtone, un instant. Et donc, tout à l’heure, ces vaches regardaient flamber les branches ; ça les a un peu perturbées que je m’arrête pour les photographier mais à mon arrivée elles étaient vraiment toutes rivées vers les flammes, c’était très beau.

Mais revenons au matin. Je suis allée courir au bord de la mer à Montmartin et à Hauteville, donc au sud des Fours à Chaux. La plage était plus sauvage et encore plus déserte que celle d’Agon-Coutainville, où je suis allée hier,

et que l’on aperçoit au loin ci-dessous, au nord. En mai, je me baigne. Emmanuelle Polle s’est baignée avant-hier, la température de l’eau était de 8° ; je ne prétends pas que j’y arriverai en mars mais en mai, je m’y engage. Je ne suis pas une petite nature.

Je ne côtoie pas que des vaches ici mais aussi des chevaux, comme on le sait, ainsi que des moutons, beaucoup de moutons assez craintifs.

J’aime la solitude de cette grange et l’estuaire en arrière-plan ; c’est une image typique, j’en ai bien l’impression, mais chaque fois je m’arrête et je prends une photo.

Au retour de ma course à pied, j’ai décidé de céder à la tentation touristique une nouvelle fois : après le sémaphore d’hier, voici une vue du château de Regnéville-sur-Mer. Les oiseaux y vivent nombreux.

Demain, je n’exclus pas (quelle folie) de vous montrer les Fours à Chaux ; aujourd’hui, dans le registre vieille pierre mangée par la mousse et la végétation, voici trois images prises sur le site desdits fours et de leurs annexes, dont le bâtiment ci-dessous. J’ai réussi l’exploit d’un cadrage qui laisse la surabondante signalétique du lieu dans les marges.

Détail d’un des fours.

Regnéville, day 2

Je n’ai pas vu passer cette journée, bien que je n’aie eu d’interaction avec personne (Fours à Chaux ≠ Factorie). J’ai couru sans croiser de sanglier, fini les corrections de mon roman de fantômes (c’est le travail le plus délicat que j’aie eu à faire depuis longtemps, dans la mesure où il va être décisif), et pour me récompenser je me suis octroyé une virée jusqu’à la très belle petite ville d’Agon-Coutainville, de l’autre côté de l’estuaire – ce qui représentait une trentaine de kilomètres ressentis 43 en raison des importants dénivelés + de la circulation autorisée à 70 km/h sur la seule route accessible à vélo + de deux nuits très courtes pour ne pas dire blanches. Je suis rentrée juste à temps pour ne pas provoquer les suidés dans leur magnifique habitat de bocages vallonnés. Voici quelques images de cette journée trépidante.

D’abord, laissez-moi vous présenter mon nouvel ami, que j’ai rencontré vers la fin de ma course à pied – il a un regard mélancolique, un nez tout doux et c’est un taciturne. J’aime bien partager des silences, bien sûr, mais ce matin j’avais eu très peur et ça me rend bavarde, alors je lui ai tout raconté au sujet de mon sanglier. Comme on le voit, ça n’a pas eu l’air de beaucoup l’impressionner.

En fin d’après-midi, me voici donc en route pour Agon-Coutainville et à Heugueville-sur-Sienne je passe devant le pont de la Roque, qui ne sert plus tellement mais qui a beaucoup de charme dans le genre vieille pierre mangée par la mousse et la végétation : décadence encore.

Et ça, c’est un sémaphore – hop, un peu d’histoire, une fois n’est pas coutume (mais je ne vais pas développer, n’abusons pas quand même).

J’avais décidé de voir la mer. J’ai vu la mer et elle était très belle. J’étais trop fatiguée pour être mélancolique + j’avais faim, soif + il y avait zéro spot de pipi nature, tout ça tombait bien.

Je suis rentrée dans le jour déclinant.

Puis ç’a été la franche nuit ; j’ai croisé un lièvre, pour preuve que c’était l’heure de la fiesta pour les autres espèces qui ne veulent pas de moi parmi elles, alors j’ai un peu parlé toute seule par moments pour m’annoncer, plutôt que d’actionner la sonnette. J’ai commenté ce que j’étais en train de faire, je n’étais pas de taille à improviser des poèmes. Demain, je me (re)lance enfin dans Nue, le manuscrit qui me vaut d’être ici ; je ne l’ai pas touché depuis si longtemps que je suis toute intimidée, comme si j’avais rancard.

Regnéville day 1

Dès mon arrivée, j’ai eu cette excellente surprise : j’ai un vélo j’ai un vélo j’ai un vélo !

Je vais tâcher de ne pas en abuser, j’ai beaucoup de travail, mais cet après-midi, après des heures de train, j’étais si heureuse de pouvoir déambuler dans le bon air frais au gré des dénivelés que je me suis octroyé deux heures de visite.

Je suis allée voir la plage bien sûr,

mais mon truc, ça reste plutôt les paysages de campagne. La nuit commençait à tomber quand j’ai emprunté ce petit chemin qui sent le sanglier mais je n’ai pas eu trop peur – mon traumatisme évolue : je suis désormais consciente que si ma laie avait voulu me dégommer, elle l’aurait fait ; quand elle a traversé le chemin devant moi, elle aurait aussi bien pu me charger une troisième fois. Je ne dis pas que je suis de nouveau prête à courir dans la forêt à l’aube mais j’ai déjà moins peur quand je croise un parc à crottes en centre ville. J’avance.

J’aime tellement ce genre de paysages que je pourrais en sangloter (// EV5).

Il y a beaucoup de vieille pierre, ici, notamment beaucoup de fragments de murs restés debout quand le reste de l’édifice a disparu, apparemment depuis longtemps. C’est assez mélancolique, décadent, presque gothique – ça tombe bien, je dois finir les corrections de mon roman de fantômes.

Et ça, c’est la vue depuis la fenêtre de ma chambre – on entend les vaches meugler dans le lointain, j’adore.