JC+23

Mon amour et moi regardons la rosée perler sur la pelouse du jardin (ou devrais-je dire sur ses adventices ?) et nous écoutons des dizaines d’oiseaux  mêler leurs chants. Soudain, l’un d’eux lance une mélodie courte, puis elle est reprise par les autres, pas tout à fait à l’unisson, et je me demande si Meredith a pensé aux oiseaux quand elle a composé Tokyo Cha Cha : on peut entendre le même phénomène ici – ça commence à 6’16 (mais ça ne fonctionne que si on écoute ce qui précède), Allison lance une série de syllabes dans les différentes lignes vocales entremêlées, chacun finit sa boucle et entonne la même ligne qu’elle à 6’28. C’est un de mes passages préférés, je le trouve à la fois drôle et beau. Encourageant.

(Moi, c’est le corps massif, et mon amour, le délicat.)

Ce matin, je calcule à très long terme : il me faut choisir que sacrifier, de mon dos douloureux depuis le gonflage d’un matelas pneumatique, hier soir, ou de mon système nerveux particulièrement éprouvé ces derniers jours, comme en atteste ma tempe droite striée de nouvelles coupures (oh rien que de très superficiel), mais si la douleur se transforme en blocage complet, combien de temps devrai-je subir une immobilité que mon tempérament explosif ne saurait tolérer sans dommage ? Je pense à cet homme qui, au tout début du confinement, a jeté ses meubles par la fenêtre de son appartement au treizième étage d’une tour sise près du Triangle, à Rennes – où je devrais être cette semaine – et je me dis que si je faisais une chose pareille, mon dos ne s’en relèverait pas. Un sacré Ouroboros que je contemple là. Finalement, je décide de sacrifier le système nerveux de ce 9 avril pour garantir la paix de Socorro dans les semaines à venir, de sorte que je parcours

Le vide du jour

en marchant. Je renonce à l’endorphine.

Le gant du jour

Nouveau ! Une fois par semaine, je répondrai à la question que nous nous posons tous au sujet des gants que nous avons croisés (dans un rayon d’un kilomètre autour de notre domicile etc.) et auxquels, parfois, nous nous sommes attachés : Que sont-ils devenus ? Ici, le gant que nous avons eu le plaisir de découvrir à JC+13. Vous serez, je suppose, heureux d’apprendre qu’en dix jours, il n’a ni bougé ni changé. Rendez-vous dans dix mois, puis dans dix ans, pour suivre notre poulain de plastique blanc.

Le conseil lecture du jour

Aujourd’hui, je vous propose un peu d’histoire : lisez les dates sur les bâtiments sis dans un rayon d’un kilomètre autour de votre domicile et demandez-vous : que s’est-il passé, cette année-là, dans un rayon de plus d’un kilomètre etc. ?

(Lycée Condorcet, mur à 63 mètres de ma porte d’entrée.)

Si vous n’aimez pas l’histoire (ça n’a jamais été mon truc non plus, pour tout dire), faites des mathématiques : calculez de tête le nombre premier le plus proche de chaque date croisée pendant votre heure d’exutoire, par exemple. Ici, c’est 1951. Vous pouvez poursuivre le fun en faisant des calculs qui incluent la date mais aussi la distance (en mètres) comprise entre son inscription sur le bâtiment de votre choix et votre porte d’entrée. Ici, par exemple, 1955 et 63. Ou encore, entre le nombre premier le plus proche de l’un des deux, ou de chacun. Ici, par exemple, 1951 et 63, 1955 et 61, 1951 et 61.

Le détritus du jour

Nos vélos rouillent à force de ne pas servir, alors on se sépare d’eux au coin des rues. Si je sautais sur Mon Bolide et roulais dans les champs ou au long du canal, je risquerais moins de croiser un être humain qu’en traversant le centre de Lens un jour de marché, mais ça m’est interdit et, comme disent notre collégienne et mon papy (qui fêtait hier ses 93 ans seul, quelle désolation, mais refuse toute visite masquée parce que c’est interdit), La règle, c’est la règle.

Aujourd’hui, mon amour et moi célébrons les deux ans de notre rencontre. Il était 18h30 quand j’ai posé les yeux sur son visage pour la première fois dans un bar désert de Vendée, tandis qu’elle lançait avec désinvolture à ses collègues, qui m’accompagnaient et lui proposaient de se joindre à nous : À vos risques et périls. Tout un programme. De fait, notre histoire est pour le moins étonnante et pleine de rebondissements – ce genre d’histoire dont les gens qui n’écrivent pas disent aux gens qui écrivent, Tu pourrais en faire un roman. La veille de notre rencontre, j’avais envisagé le suicide dans une chambre d’hôtel, à Nantes, et en un battement de cils, celle que j’allais appeler mon amour a ramené la lumière dans ma vie. Et le lendemain, j’interrompais ma course à pied pour danser de joie, dans une clairière, sur un morceau d’Anna Meredith – qui sera aussi

La musique du jour

J’étais guérie, sauvée – la spirale qui m’entraînait par le fond : enrayée. Ce soir, quand nous arrivons dans notre repaire verdoyant, à 18h30, 29 lapins nous attendent avec des banderoles « Joyeux anniversaire » et « Félicitations », et trois canards nous font la surprise d’atterrir là, sur la colline, en riant aux éclats. Merci, les amis !

La bonne nouvelle du jour (à confirmer à la fin du confinement)

L’amour peut survivre au confinement. Vive l’amour.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 29

Piéton(s) : j’arrête de compter les piétons, ça m’ennuie, désormais, je compterai les

Mails, SMS et appels de travail : 7 (qu’on ne dise pas qu’écrivain, ce n’est pas un vrai métier. Je profite de l’occasion pour relayer ici cet aveu d’une amie qui travaille dans les hautes sphères de la grande distribution : « Je ne travaille qu’une heure par jour mais j’avance autant qu’en une journée hors confinement parce que je n’ai plus de réunions qui servent à rien. » Pour ma part, je ne trouve toujours pas le temps de répondre à mes mails.)

Joggeur(s) : 1

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+22

est le jour où j’envisage de me défenestrer.

Le vide du jour

Tout. Tout est vide. Je me sens seule dans une espèce qui, frappée par l’horreur, ne fait que développer des applis, des tutos, des réseaux de merde. Je n’en peux plus de lire des mails et des sms qui s’achèvent par « bises confinées ». On le sait, qu’on est confinés, c’est bon, lâchez-moi. J’étouffe dans l’espèce et je me sens seule à la fois, quel absurde inconfort.

(Vide avec détritus : sapin de Noël roux ( rose). Il n’est jamais trop tard.)

La musique du jour

Goodbye, chère amie, magnifique morceau du groupe cajun Magnolia Sisters, idéal pour dire adieu à mon lave-linge, qui nous a lâchés hier, en plein confinement. Et merci bien.

Ma chaîne hifi aussi a rendu l’âme, le même jour, c’est donc avec un casque sur les oreilles que j’écoute aujourd’hui

L’autre musique du jour

quant à elle très proche de ce que je ressens.

Et Le conseil lecture du jour, alors ?

Eh bien, reprenez toutes vos attestations de sortie depuis le début du confinement et relisez-les avec émotion, en vous rappelant ce que vous avez fait tel jour, à telle heure. (C’est également un exercice très stimulant pour la mémoire.)

Le gant du jour

Aujourd’hui, je me sens comme une vieille merde desséchée alors je choisis des photos de bitume. Ici, je trouve que les lignes composent un beau tableau abstrait, sur lequel ce gant presque habité, ouvert comme une main, m’évoque mon sentiment du jour, que l’on pourrait résumer par Au secours, un au secours sans le son, faute d’air, comme dans les cauchemars.

Le détritus du jour

Un élastique brillant pour que le monsieur confiné dans le bitume puisse jouer à la balle / au cerceau / au yoyo / au bilboquet.

La bonne nouvelle du jour

Les pâquerettes le font. Vivre confinées, à l’ombre des barreaux. Elles nous montrent l’exemple de la patience, nous enseignent le sens de l’absurde et nous rappellent notre condition d’animaux sociaux agglutinés dans le béton. Je vais mettre une banderole Merci les pâquerettes sur ma fenêtre côté rue, tiens.

Un lézard et moi regardons  passer avec nostalgie un des rares TER qui circulent encore et dans lequel lui comme moi, pour des raisons différentes, sommes persona non grata. Je découvre que son muret, tout comme la véloroute, est un spot de lézards.

Sur la véloroute aujourd’hui, le garçon qui me rappelait hier Duelling Banjos de Délivrance erre toujours avec son seau. Nous tâchons de deviner ce qu’il cherche. Comme hier, il a une bouteille vide à la main. Je suppute qu’il ramasse des bouteilles consignées mais il me détrompe : Vous ne voulez pas m’aider à attraper des lézards ? nous demande-t-il. Je suis horrifiée : Il ne faut pas attraper des bestioles, je lui dis. C’est pour mon serpent, ajoute-t-il. Je couine un Jesus désespéré en poursuivant mon chemin vers les lapins. Heureusement, il reste les lapins.

Avant de me coucher, je me bloque le dos. Journée de merde.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 19

Piéton(s) : 5

Joggeur(s) : 3

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+21

Je fais le test : je cours en cercle autour du stade Léo Lagrange, à deux pas de chez moi. Le tour complet fait 1,5 km, pas si mal. C’est d’ailleurs un beau stade, j’aime beaucoup ses couleurs toujours comme neuves. Et je me rappelle que, quand je menais l’enquête sur la jeune athlète, il avait une aura quasi légendaire à mes yeux. Mais comment fait la jeune athlète pour supporter l’ennui de courir en orbite autour d’un terrain?

(Le 24 octobre 2018, jour où j’ai découvert le nom de famille et l’adresse de la jeune athlète.)

(Ce matin.)

Il y a deux autres joggeurs dans le stade, une dame saumon et un monsieur anthracite ; tous deux courent dans le sens des aiguilles d’une montre, ce qui ne me viendrait pas à l’idée. De toute façon je préfère les croiser brièvement, faire une embardée de cinq mètres à leur gauche, la tête sur l’épaule droite et la respiration coupée, deux fois par tour, plutôt que de les doubler laborieusement tandis que le vent acheminerait leur souffle pestilentiel jusqu’à moi. J’aime beaucoup ce stade et sa mappemonde artistique mais je tiens trois tours avant de filer dans les rues vers la Grande Résidence et le reste du vaste monde.

Le vide du jour

Des vides de Sallaumines qui sinuent presque autant que les pistes immaculées du stade Léo Lagrange.

Ici aussi, entre la cité de fosse 13 et la voie ferrée, il y a un terrain de foot peu usité.

Le printemps dernier, j’ai écrit une chanson de geste qui a pour cadre le parc de la jeune athlète ; c’est un texte (qui se veut) plutôt drôle et dont un des motifs récurrents est le vide : par endroits, j’énumère les rares individus humains, canins et aviaires que j’y observe au fil des heures. Que ce parc soit interdit aux riverains me semble encore plus absurde que la fermeture du 11/19 – sous étroite surveillance puisque ma mère m’apprenait ce matin qu’une de ses copines y avait été interpelée à 7h du matin par trois policiers. C’est pousser un peu loin l’héroïsme national. Quelle est la limite au-delà de laquelle un fonctionnaire zélé devient un collabo ?

La musique du jour

From Gardens Where We Feel Secure est un titre de circonstance. La musique mélange sucreries (par endroits très kitsch) et field recordings d’une manière assez plaisante et fraîche, composant des paysages sonores bucoliques et, par endroits, villageois.

Et quand on n’a pas de jardin, pas même un jardin mental, où se sentir en sécurité,

on peut toujours (et ce sera

Le conseil lecture du jour)

épier ses voisins, lecture toujours inventive, vieille comme le monde et particulièrement excitante en temps de crise. On peut même y intervenir, comme dans les livres dont vous êtes le héros, par la solidarité, par l’apéritif à travers le grillage ou par la délation. Une collègue de mon amour fait des apéros Skype avec ses amies et toutes se plaignent que leurs voisins sortent trois fois par jour. Elles hésitent à les dénoncer parce que si tout le monde faisait comme eux. Je parie qu’elles applaudissent à leur fenêtre, tous les soirs à 20h. Quelle est la limite au-delà de laquelle un citoyen solidaire devient un collabo ? Elles devraient payer leurs voisins pour alimenter leur discussion, voilà ce qu’elles devraient faire.

Ce qui arrive quand on laisse un parc ouvert à Lens (1) :

(À suivre…)

Aujourd’hui, je suis à cran, la misanthropie me donne des courbatures.

Le détritus du jour

s’est pendu, je le comprends.

La bonne nouvelle du jour

Demain soir, pleine lune pour tout le monde ! En attendant, je ne sais pas… Le vaste monde poursuit sa parade de printemps sans nous – bien mieux sans nous.

Je me couche tôt avec un livre et un chat, je n’ai aucune peine à lire, ce soir, je mange 150 pages avant de tomber enfin de fatigue.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 7 (pour cause joggeuse avec cheveux verts et chien baveux format bœuf – vandales)

Piéton(s) : 11, dont 3 m’ont rappelé cette scène de Délivrance

Joggeur(s) : 5

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+20

Je n’ai jamais parlé ici de la sonnette – non, appelons un visiophone un visiophone : je n’ai jamais parlé ici du visiophone le plus aimé, le plus choyé qu’on ait jamais vu en terre de houillères. Tous les jours, nous passons devant une grille d’entrée flanquée d’un visiophone incorporé dans un muret de brique, c’est sur le chemin de nos lapins, et chaque jour nous voyons le papa de nombreux enfants très polis (quoique stridents) accroupi devant un visiophone heureux. Les enfants sur leurs petits vélos roses disent Bonjour, Bonjour, Bonjour dans les aigus à travers la rue déserte quand nous longeons le parc d’activité éteint que fixe, écarquillé, le visiophone, et le papa tient des outils qui font des choses autour du visiophone et sur le visiophone. Jour après jour, depuis trois semaines. J’en parle aujourd’hui parce que j’ai enfin pu le prendre en photo, en l’absence exceptionnelle de Monsieur – due à l’heure tardive de notre promenade du jour.

Après le visiophone de l’année, voici

Le gant du jour

Cette photo est pleine de textures qu’on aurait presque envie de gratter avec les ongles, n’étaient le covid-19, la crasse et quelques autres traces suspectes.

J’écris un texte sur les terrils. Dehors, un merle poursuit une palombe, et ça piaille très fort et ça ne plaisante pas. Ma voisine dit qu’il y a un nid de merles dans le lierre qui sert de balancelle à Patty la palombe. Nous avons ici affaire à une guerre de territoire, et elle est féroce. Peggy ajoute qu’avant – avant qu’elle ne taille dans une masse de lierre dix fois plus épaisse – il y avait un nid de rats là juste sous la fenêtre à droite du bureau où j’écris un texte sur les terrils.

Le détritus du jour

Ghostbusters jette l’éponge et prend la porte. Polty s’en réjouit et commet aujourd’hui quelques actes régressifs du genre : jeter l’oreiller de mon amour hors du lit.

Con-fun (fun fun fun)-ment (non, ceci n’est PAS une nouvelle rubrique).

La musique du jour

Tendril de Lyra Pramuk, sur l’album Fountain, paru le mois dernier.

Le monde est bipolaire, avec sa splendeur de nature grasse et odorante gorgée de lumière et son virus eugéniste dégueulasse. La vie de l’espèce l’est aussi, avec ses monstrueux chiffres du jour et ses albums qui paraissent chaque jour comme prévu et jouent courageusement dans le néant.

Extraits de L’éternité n’est pas si longue :

« Les infos : leurs présentateurs compassés, la mécanique monotone de leurs phrases, le clignement de leurs yeux quand leurs mines contrites cèdent l’écran aux reportages. Tant que leurs commentaires continuent d’être vomis à travers le monde, il nous reste l’impression d’être pris en charge, celle aussi d’être unis par les ondes à tous ceux qui comme nous sont contraints d’affronter une situation dans laquelle toute forme de diversion devient vaine. Tous suspendus aux derniers chiffres, aux dernières mesures venues d’en haut, aux derniers verdicts scientifiques : rendez-nous compte de ce qu’il vous plaira, nous voulons juste savoir qu’il est toujours d’actualité qu’il nous soit rendu compte de quoi que ce soit. »

Sur les chiffres : « On en oublierait presque toutes ces vies perdues sous les macules, papules, vésicules, pustules et croûtes. La singularité des vies enfuies se perd dans l’amas des morts. Tout ce que l’on voit, c’est un tas – c’est qu’on n’est pas dans ce tas (…) Le tas métonymique des corps anonymes, réunis à titre d’illustration avant la crémation. Que l’horreur reste numérique. »

Le conseil lecture du jour

J’hésitais à créer une rubrique intitulée Le gros fayot du jour mais je vais plutôt vous encourager à lire les banderoles et affichettes dont vos concitoyens (dans un rayon d’un kilomètre) ont décoré leur maison pour se rendre utiles, puis à vous en inspirer pour créer vos propres slogans de solidarité nationale et saluer nos héros.

Lire les slogans des autres stimule également votre esprit critique et je suis sûre que, lisant l’image ci-dessus, vous avez sursauté intérieurement : Et les personnels de commerces essentiels, alors ? vous êtes-vous dit, et vous vous êtes juré que vous, vous ne les dédaignerez pas de la sorte.

Le vide du jour

recto

verso

Ce soir, au spot de lapins, c’est la fête. Le dernier chien du jour est parti, la lumière se dore lentement, une lune pâle et presque pleine flotte dans le bleu du ciel, entre deux nuages immobiles aux moutonnements roses. Les lapins jouent, ils s’amusent à sauter les uns par-dessus les autres. Ils forment deux grandes bandes et, à notre approche, plongent sur les pentes bruissantes de ronces qui cachent leurs terriers.

À la nuit tombée, assise dans le jardin, j’entends les bruits désormais familiers de petits animaux dans le lierre, mais tout a changé : désormais, je sais qu’ici grouillait naguère un nid de rats et je ne m’amuse plus à deviner les vies qui grouillent là-dedans. L’accès à ce plaisir-là m’est temporairement interdit – j’oublierai, un jour ; pour l’heure, j’allume la lumière extérieure. Mon amour se moque de moi, on voit qu’elle n’a pas de phobie. Je lui raconte la rixe entre merles et palombes à laquelle j’ai assisté tout à l’heure et me rappelle ce que notre étudiante nous racontait, il y a deux semaines : elle était au fond du jardin quand elle a assisté à la mise à mort et à l’enlèvement d’un petit oiseau par une buse. Là, dans le silence édénique de la zone interstitielle boisée entre Socorro et le lycée.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 23

Piéton(s) : 7

Joggeur(s) : 1

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+19

Ce matin, j’ai envie de renouveler le plaisir éprouvé hier quand j’ai contemplé le défilé des nuages, allongée dans le jardin au milieu des pâquerettes et des pissenlits, des bourdons et des papillons. Je n’aurais pas dû racheter la tondeuse que m’a proposée l’ancien propriétaire de ma maison : il n’y a pas lieu de couper un gazon qui n’en est pas vraiment un puisqu’il est composé en grande partie d’adventices : il ne croît pas, seules les fleurs le font et si je m’efforce de ne pas marcher dessus, ce n’est pas pour les décapiter. Que faire ? Je passe en revue les photos de mon dossier Confinement pour réunir celles qui comportent de l’herbe quand mon amour m’apprend que notre voisine Peggy, avec qui nous avons rendez-vous ce soir, va tondre sa pelouse.

(J’ai pris cette photo hier, en même temps que je parlais avec mon antique au téléphone, le vent était fort, les nuages rapides, et Carol-Anne, dont le faîte prend ici toute la netteté, se trémoussait joyeusement.)

C’est dimanche et les rues sont encore plus désertes que les autres jours quand mon amour et moi gagnons notre spot de lapins, en plein midi, espérant que les familles d’humains seront à table. Encore vos lapins ? nous demande notre lycéen quand nous lui apprenons notre destination. Certains ne quittent pas le canapé depuis le début du confinement, dis-je, et d’autres vont toujours au même spot de lapins. Lui-même est bien obligé d’en rire.

(Mon amour, le manteau noué autour des hanches dans la chaleur du midi, contemple le ruisseau qui coule entre la colline et l’autoroute.)

Notre spot à lapins est le seul endroit où nous pouvons être seules dans la nature (une nature très relative mais tout de même, il y a de la végétation, de l’eau, des bourdons et des papillons de toutes les couleurs – sans compter les lapins – , c’est déjà le luxe dans ce contexte) et nous savons que nous serons toujours particulièrement attachées à ce lieu. Il aura été notre refuge, notre espace de respiration. Au bord de l’autoroute mais ça va puisque, ces derniers temps, l’autoroute est une excellente candidate pour

Le vide du jour

La musique du jour

Out on the lawn I lie in bed, extrait de la Spring Symphony de Benjamin Britten, ici chantée par Kathleen Ferrier.

Le gant du jour

en bouclette, sur pâquerettes

Le conseil lecture du jour

Une de mes amies profite du temps dont elle dispose pour apprendre le nom des arbres. Elle lit la nature, son alphabet de  feuilles, de fleurs et de fruits, d’écorce et de hauteur. Ceci est donc en quelque sorte son conseil de lecture par moi interposée.

Le détritus du jour

n’en est pas vraiment un, je suppose ; je n’imagine pas vraiment que son propriétaire soit venu s’en délester là, en altitude, mais bien plutôt qu’il en déplore la perte.

Le soir, nous prenons l’apéro avec ma voisine à travers le grillage qui sépare nos jardins. Pour un premier apéro ensemble, c’est à la fois étrange et amusant. Nous apprenons son histoire en inclinant la tête de manière à voir son visage à travers le quadrillage vert. Je finis par comprendre que l’une de ses meilleures amies, qu’elle mentionne régulièrement depuis plus d’une heure, est la Fatima même avec qui j’ai fait du théâtre quand j’étais adolescente, et que je n’ai pas vue depuis 28 ans. Pour moi, c’est

La bonne nouvelle du jour

Et voilà je lui parle, après tout ce temps, à travers le haut-parleur du téléphone de ma voisine, de l’autre côté du grillage, cependant que cette dernière continue de discuter avec mon amour. Vous êtes avec qui ? me demande Fatima. Je suppose que Peggy ne parle pas toute seule ?

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 1 – misère, à cause de :

Piéton(s) : 7, dont deux avec chien (sur territoire lapins)

Joggeur(s) : 0

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Non

JC+18

Aujourd’hui, le printemps s’installe et on pourrait presque oublier le contexte : les familles sont de sortie avec les enfants et les chiens, les trottinettes et les petits vélos roses, on est obligé de changer constamment de trottoir pour ne croiser personne ; dans la nature c’est pire, il faut fuir dans les ronces comme des lapins. Quant à ces derniers, alertés par la soudaine affluence d’humains, ils restent terrés. Seuls les lapereaux dont l’instinct de survie n’est pas encore suffisamment développé se laissent surprendre.

Je photographie celui-ci quand un homme surgit au sommet d’un talus, à bout de souffle. Nous sommes saisies par la peur et découvrons avec stupeur qu’il s’agit d’un policier avec un gilet pare-balles. Je crois qu’il est là pour nous, qu’il va nous plaquer au sol, mais il nous dit bonjour en dévalant le talus ; sa voix est étonnamment douce et calme, en complet contraste avec son visage écarlate et suant. Tout cela ne dure qu’un instant et il court de plus belle en haletant tandis que son talkie-walkie crachote.

Qui poursuit-il ainsi au bord du ruisseau ? Que se passe-t-il dans les fourrés dont il a bondi ? Mon imagination étant prisonnière du règlement qui rend nos vies si compliquées, elle me suggère qu’on a pu lui signaler une partie de foot ou un barbecue géant. Mon amour pense qu’il y avait un danger imminent et s’attend à ce qu’on nous dise de quitter les lieux au plus vite. Quoiqu’il en soit, nous rebroussons chemin. Dans notre spot à lapins, au moins, on entend les bourdons voler.

Le détritus du jour

aérien et d’actualité

Il y a tout de même un (tout petit) avantage à voir des gens aux profils variés encombrer sans masques la ville : les gens inquiétants inquiètent moins – ce genre d’individus qu’on remarque davantage quand les rues sont désertes, l’été ou en temps de confinement, et qui ruent, éructent, titubent, baveux, les yeux écarquillés. Parfois, depuis le début de l’épidémie, j’ai peur qu’ils me sautent dessus pour me cracher ou me souffler au visage ou pour me rouler une pelle de la mort. Je me rappelle une déséquilibrée qui circulait à Cayenne, en 2001 ; elle se disait séropositive et menaçait les passants avec une seringue pleine de son sang. Cela dit, ma phobie sociale n’avait pas attendu cette dame ni le coronavirus pour que mon imagination me désigne les humains comme de potentiels meurtriers : par exemple, j’ai toujours eu peur de croiser des gens sur des ponts. Je m’attends systématiquement à qu’ils me poussent – même quand ils ne sont pas d’aspect bizarre, en vérité : par exemple, je vois l’archétype du bon père de famille arriver face à moi et je me dis, Ce serait bien son genre de péter les plombs, là, juste au moment où on se croise, et demain il s’excuserait en pleurant, il dirait qu’il ne sait pas ce qui lui est passé par la tête.

La bonne nouvelle du jour

Les gens font rarement ce genre de choses.

Le gant du jour

Triple bubble gum. J’aime quand le hasard ajoute la touche finale à une œuvre 100% humaine (vieux chewing-gums, emballage de jeune boule de gomme et gant en caoutchouc flashy sur macadam granuleux).

Le conseil lecture du jour

Relire sa propre histoire.

Depuis plusieurs années, je m’aperçois que je vis trop vite, que je ne prends plus assez le temps d’assimiler les épisodes de ma propre histoire, qui s’enchaînent toujours plus vite ; c’est comme regarder plusieurs films d’affilée sans prendre le temps d’y penser, de les analyser, de percevoir leurs jeux d’échos. Est-ce que ça tient à mon âge ou à l’époque ? Je me dis souvent, Plus tard, quand j’aurai le temps, j’irai m’asseoir quelque part avec moi-même et je laisserai mon regard errer ici, et mon esprit là, et tout s’assemblera dans une perspective révolutionnaire et un relief inédit. C’est ce qui s’est produit, à mon corps défendant, avant que je ne quitte Lille pour Lens ; et avant-hier, quand je marchais le ventre lourd d’angoisse dans l’atmosphère post-apocalyptique : je regardais le film de ma vie défiler sur le paysage. Cependant, les terrils, qui se dessinaient au loin, m’apparaissaient comme un condensé de l’histoire humaine, de la domestication du feu en – 400 000 avant le fameux J.-C. jusqu’à l’interdiction d’accéder à la nature qui a repris ses droits sur le travail de l’homme (en l’occurrence, le plus gros château de sable qu’on puisse imaginer).

(Au loin, le terril plat de Pinchonvalles : presque une forêt.)

L’histoire peut également se relire en couple / en famille / entre amis ! Comme dans les festivals littéraires, dont le temps fort en public est bien souvent précédé de rencontres scolaires et d’ateliers, mon amour et moi relisons  ensemble notre histoire à l’approche des deux ans de notre rencontre. Nous nous chamaillons, nous traitons de mytho (nous aimons récupérer certains termes prisés des jeunes pour les tourner en dérision – avant qu’ils ne deviennent des tics de langage), des reproches rétroactifs volent, et des ha aspirés, incrédules face à tant de mauvaise foi : Tu ne m’as pas regardée de la soirée, ce jour-là. – Mais n’importe quoi ! Je faisais tout pour accrocher ton regard. Etc. Où l’on approche de cette chose fascinante qu’est une perception autre de moments dont on pensait détenir la vérité unique.

Le vide du jour

Avec gant – dans ce cadrage, on voit mieux le parallèle entre les gants et les préservatifs usagés qui jonchent certains parcs et trottoirs. Le gant, préservatif de main.

La musique du jour

par la pianiste et chanteuse de boogie-woogie Katie Webster (1936-1999) ; les paroles sont tordantes et le morceau assez dansant pour un Saturday night.

Mon amour et moi buvons notre infusion dans le jardin à la seule lueur, étrangement intense, de la lune. Nous regardons les étoiles apparaître à mesure que la nuit s’épaissit, et parfois une chauve-souris vole si bas que nous sursautons en riant. Des petits animaux font frémir le lierre – souris, lézards, oiseaux ? J’appelle en chuchotant : Patty ? Patty, c’est cette palombe de format presque poule, super gouniche, qui depuis plusieurs semaines fait ployer le lierre devant la fenêtre de mon bureau.

Mais ce soir, c’est une mésange qui s’extrait des feuillages, se pose près de nous et nous regarde un instant avant de reprendre son envol.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 5

Piéton(s) : 73

Joggeur(s) : 3

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+17

Réveil radieux.

J’ai rêvé que nous étions dans une chambre d’hôtel avec un chien, dis-je à mon amour, et que mes parents venaient y séjourner avec nous.

J’ai rêvé que tu me disais, Mes parents arrivent, répond mon amour, et que j’allais me changer parce que j’étais en pyjama.

Ma meilleure amie m’envoie des photos de boîtes aux lettres et de portes de garages bardées d’autocollants et d’affiches arborant la mention MERCI sous des portraits d’individus, certains masqués. La semaine dernière, au cours d’une promenade, j’ai vu des pans de draps mal découpés sur lesquels on avait écrit à la main des mercis et loué l’héroïsme des soignants et des personnels de commerces essentiels – j’ai renoncé à prendre des photos et me suis contentée de pester. Le grégarisme et le besoin de héros que manifestent en toutes circonstances nos congénères (cf. Je suis Charlie et al.) nous désespère, tout particulièrement quand leurs héros du jour sont des gens sur qui, la veille encore, ils s’essuyaient les pieds. Il me semble que les soignants n’ont pas attendu le covid-19 pour être en sous-effectif, épuisés, malmenés ; je ne me rappelle pas que leurs revendications aient eu beaucoup de retentissement dans la population avant qu’elle n’ait besoin de vénérer des héros. Quant à ceux qui disent Bon courage aux caissières, j’ai dit ici ce que j’en pensais.

(© photos Antique.)

Aujourd’hui, Socorro piaille comme un nid, nous rions aux éclats, notre lycéen exulte de ne pas devoir apprendre des chapitres et des chapitres d’Histoire pour le bac puisqu’il n’y aura pas de bac, notre collégienne parle si vite qu’elle a l’air plusieurs, elle regrette de ne pas pouvoir se présenter au brevet, montrer sa convocation et sa carte d’identité : il faudra, dit-elle, qu’elle attende la première pour faire cette expérience. Mais non, je lui réponds, si tu veux montrer ta carte d’identité, va prendre l’air !

(Sallaumines, ce matin.)

Le gant du jour

Un gant nature. Simple, efficace.

Toute la journée, des allées et venues d’hélicoptères. Nous supposons qu’il s’agit de malades transférés depuis d’autres hôpitaux. Dans le Pas-de-Calais, pour l’instant, les victimes du coronavirus sont encore relativement peu nombreuses (34, d’après la Voix du Nord ce matin).

Le vide du jour

Un vide de fête, avec de beaux fanions quasi balnéaires, près du cimetière de Lens-Sallaumines.

Le conseil lecture du jour

Cherchez la poésie près de chez vous, elle est partout : sur les murs, les affiches, les détritus, les boîtes aux lettres, les boutons de sonnette. J’intitule le poème urbain ci-dessous AI AÏE :

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est niquer.jpg.

(« Nique la police !! » / « Y a bien réson de la niquer », Sallaumines.)

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est livreson.jpg.

(Livreson, Lens.)

Erratum : Après consultation de mes experts, il apparaît que je donnais ici des conseils dangereux pour la santé publique : il ne faut pas congeler votre livre de boîte à livres avant consommation, mais au contraire le chauffer. Nous recommandons de le mettre au four en papillote, après l’avoir retiré du sac plastique zippé, jusqu’à ce que la température au milieu dépasse les 60°. Merci de votre compréhension.

La musique du jour

Des round town girls, voilà bien ce que nous sommes dans notre bocal.

Ce qui n’est pas sans m’évoquer une pratique locale : I get around en voiture sans permis. Quand on découvre le bassin minier, on est forcément frappé par le nombre de ces véhicules. Il y a un concessionnaire dans le centre de Sallaumines. L’apprenant, mon amour avoue qu’elle s’était toujours demandé où on pouvait acheter ce genre de choses : Qu’est-ce que tu imaginais ? je m’esclaffe. Qu’on les trouvait devant les supermarchés, à côté des bonbonnes de gaz ?

(Garagette de voiturettes.)

Parfois, pendant nos promenades, nous entendons un moteur derrière nous (on reconnaît très facilement leur bruit – plus proche de celui d’une mobylette que de celui d’une voiture) et je dis, C’est la police sans permis ! car quand nous sortons, nous avons peur de nous prendre une amende pour n’importe quel motif (une de mes amies me dit qu’un voisin de sa mère a eu un PV pour avoir promené ses deux moutons), plus que de nous exposer au virus (puisque nous sommes d’une prudence inépuisable dans des zones toujours aussi désertiques).

Le détritus du jour

(Qui vois-je, entre la borne d’incendie et l’emballage d’écran géant ?)

(Mais oui, c’est bien lui ! Ce détritus du jour sent la déception.)

Aujourd’hui, nous jouons à celle qui voit le plus de lapins la première. Quand je tends le bras en silence vers le premier, mon amour me frappe avec son écharpe puis plaque la main sur sa bouche : Pardon ! Pardon ! Même chose quand je désigne le deuxième. C’est pas juste, dit-elle, tu as un véritable détecteur de lapins. Quand elle voit son premier lapin, elle dit qu’il y a un feu d’artifice dans son corps. C’est la femme de ma vie.

(Notre super spot de lapins.)

Le soir, pendant l’apéro vidéo avec mes meilleures amies, nous découvrons que notre collégienne ferait une parfaite préfète : Si tout le monde avait respecté les règles, dit-elle, le confinement serait déjà terminé. Les règles, c’est les règles, dit-elle aussi souvent. Je réponds en substance que si je respectais la lettre des règles plutôt que leur esprit (ne mettre personne en danger), j’aurais déjà commis des meurtres depuis le début du confinement. Une jeune légaliste et une vieille punk se partageant une pizza.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 19

Piéton(s) : 7

Joggeur(s) : 0

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+16

Woke up this morning
?
?

Réveil peu prometteur. Efforts. Course à pied. Lapins. Euphorie.

(11-19 et stade Bollaert depuis mon éminence à lapins.)

(Mon éminence à lapins, à 1 km à vol d’oiseau de Socorro.)

Explosion. Déjeuner solitaire devant mon ordinateur. Je profite de ce que mon amour et ses enfants sont dans le jardin pour écouter de la musique un peu plus fort que je ne le fais en temps normal. Je choisis sans un instant d’hésitation The Practice of Love de Jenny Hval.

Le conseil lecture du jour

vous est offert aujourd’hui (ça me fait un RTT) par

La musique du jour

Look at these trees
Look at this grass
Look at those clouds
Look at them now
And look at them now
Look at them now, look at them now
Take a closer look
Study the raindrops on the leaves
Study the ants on the ground
Study the ground, the brown, porous topsoil
Its softness, the mushrooms
And the strange blue flowers that grow near them
Study this and ask yourself « Where is God? »

Le gant du jour

gothique (ça change)

L’après-midi, une double explosion me laisse sans forces. Je lance deux carottes à Danny, qui en brait de joie, tandis que sa poulette rue avec mauvaise humeur (comme je la comprends) dans les bouteilles en plastique et en verre que des têtes de noeud ont jetées dans leur enclos.

La bonne nouvelle du jour

Dame Sam (aka L’intrépide, aka Laïka) est sur les réseaux sociaux pour sauver de l’ennui le monde confiné : elle vous propose un tutoriel inédit pour apprendre à vous purger. Elle recommande, pour mieux apprécier la vidéo, d’en couper le son.

https://www.facebook.com/trianglerennes/videos/804823316694226/

Nous l’appelons Laïka depuis qu’elle a vagabondé nuitamment dans le quartier : une mémé chat au milieu des loubards en robes de toutes les couleurs, à poil long ou ras, des blancs, des verts, des noirs, des gris, des beiges, des noirs et blancs, des tachetés, des tigrés, des tabby, des dizaines de chats errants qui tiennent le pâté de maison dans leur coussinet pouilleux. Et au milieu, L’Intrépide Laïka, l’œil revêche et la démarche chaloupée.

Le vide du jour

pavillonnaire

Le soir, je branche ma radio portative dans la cuisine et nous fermons la porte. Mon amour nous verse un verre de vin, à la radio c’est Banzzaï, la fenêtre est entrebâillée, la lueur des bougies vacille et, pendant que les endives fondent, nous dansons et nous rions.

Je sais que tout ira de nouveau bien. Tout le monde semble apprécier ma quiche à la fondue d’endives, ce vin est vraiment très bon et les enfants me font rire. Je suis apaisée.

Le détritus du jour

l’adieu aux armes

Le problème, c’est le confinement, c’est tout. C’est de ne pas pouvoir courir 20 km ou rouler 50 km à vélo pour évacuer ma légendaire dynamite. Nous ne sommes pas égaux face à cette contrainte : ici, il faut jeter nos ados dehors pour qu’ils courent un quart d’heure et leur système nerveux se porte très bien, tandis que je suffoque dans mon heure de course à pied autorisée, dans mon périmètre bocal.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 13

Piéton(s) : 11 (dont avec chien(s) : 7)

Joggeur(s) : 5

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+15

Ce matin, je me réveille si tendue que j’ai peur de me casser en mille morceaux si je me cogne un coude, un orteil. Je décide que pour maintenir la pelle à concorde (la paix et la concorde en langage Zeppelin) à Socorro, il est préférable que je m’isole. Je m’installe un petit bureau dans la chambre, j’écoute

La musique du jour

et réécoute deux fois le morceau qui commence à 1h05’33. Ce dispositif de confinement dans le confinement ne suffit pas à m’apaiser. Ça ira mieux quand j’aurai couru : tout va toujours mieux quand j’ai couru. En remplissant mon attestation de sortie, je m’aperçois que nous sommes le 1er avril alors je me tourne vers mon amour avec surprise car aujourd’hui, c’est un petit anniversaire pour nous, et je l’aurais peut-être laissé passer si je ne devais chaque jour égratigner un arbre pour être en règle.

Puis je vais donc courir et, sur le parvis désert de la gare, en l’absence de tout obstacle, je trébuche et me brise le coude sur les pavés ; mon mollet aussi est râpé, mon tatouage a l’air plus vieux que moi, ma cheville lance. Je m’en veux : ce n’est pas le moment de se blesser, pas le moment de frotter sa peau sur le sol de l’espace public. Je compte : je cours depuis six ou sept ans et il ne m’est arrivé que trois fois de tomber sans raison valable. Pourquoi maintenant ? Est-ce un hasard ou est-ce que le danger s’alimente lui-même, en prenant appui sur la peur ?

Le détritus du jour

Quelques centaines de mètres après mon point de chute, comme une grimace du bitume raillé hier dans mon JC+14.

La bonne nouvelle du jour

Les lapins de mon territoire secret doivent certes vivre sur un talus jonché de détritus moins biodégradables qu’une peau de banane (on en voit quelques-uns sur l’image) mais au moins ils ne risquent pas de croiser une raclure avec un fusil. Mes pensées les moins affectueuses vont aux chasseurs en cette sombre période ; j’espère qu’ils comprennent enfin ce que ça fait d’être traqué par un trou du cul à qui on n’a rien demandé, sans qui on vivait insouciant sous le soleil et la pluie, et face auquel on est désarmé.

Je porte des gants et un masque pour ma première sortie chez un caviste depuis le début du confinement. J’enfile les gants sur le seuil de la porte, je ne touche à rien, mais quand par réflexe je tends la main vers une bouteille pour lire son bouchon et sa quatrième de couv, le caviste m’arrête. Je m’excuse treize fois.

Le gant du jour

sobre comme une peau de banane

J’ai l’air d’ennuyer le caviste, je ne suis sans doute pas assez rapide, mais c’est aussi difficile de choisir un vin dans ces conditions que de le faire à travers une vitre comme dans les liquor stores new-yorkais. Je sors sans savoir si j’ai des vins de récoltant, de négociant ou d’exploitant dans mon carton, tout juste ai-je quelques indications sur les cépages, mais peu importe : au-delà, je viens d’acheter du vin sans plaisir, et soudain je me demande si le plaisir est devenu tabou au seuil du pic de la pandémie. Si l’on est censé claquer des dents et retenir son souffle dans la solitude et l’obscurité d’un cagibi, par solidarité. Si notre affliction et nos conseils de lecture soulageront qui que ce soit.

Le conseil lecture du jour

Le ciel est très dégagé, depuis le début du confinement, ce qui nous offre une opportunité inespérée de le lire – port de lunette(s) recommandé.

Voilà qui devrait occuper pendant un moment les plus difficiles à divertir comme les plus avides de transcendance. Et le jour ? me dira-t-on. Eh bien, étudiez les cartes, je ne sais pas, moi, lisez le soleil et les nuages.

I got the sun in the morning and the moon at night
Sunshine gives me a lovely day

Moonlight gives me the Milky Way

Got no checkbooks, got no banks
Still I’d like to express my thanks
I got the sun in the morning and the moon at night
And with the sun in the morning
And the moon in the evening
I’m all right

Le vide du jour

Vide de moi aussi puisque c’est l’endroit où je ne peux me rendre aujourd’hui, faute de temps (la photo est d’hier), ce qui signifie aussi que je suis privée de mes lapins.

D’ailleurs c’est le jour où j’explose, où je claque des choses et manque casser par ricochet la tasse dans laquelle je bois mon café (celle dans laquelle ma grand-mère Lucette me faisait du thé – Tetley earl grey, la boîte bleue), le jour où je manque fracasser des crânes, au lieu de quoi j’attends d’être dans la rue pour pleurer pleurer pleurer. Le seul de mes amis que j’aie la possibilité de voir est Danny. Je pleure de plus belle, parce que je n’ai pas de carotte à lui donner. Je pleure parce que je dois me rappeler de craindre une dame qui taille sa haie, parce que je dois considérer les autres comme des zombies et me comporter en ombre. Danny est dans sa pâture, d’humeur badine, il pousse sa poulette de la tête et broute joyeusement. C’est déjà bien. Pourtant, c’est le jour où j’explose sous la lune, dont le croissant pâle flotte dans le ciel bleu du midi, le jour où j’explose de nouveau dans la magnifique lumière vespérale, qui gorge d’or les bourgeons dans l’espace interstitiel entre le jardin et la cour du lycée.

(Socorro vue du ciel.)

Je me réfugie au fond du jardin, à vingt-cinq mètres de mes fenêtres, pour noyer mes meilleures amies sous le flot de mes doléances téléphoniques, qu’elles seules peuvent comprendre et salutairement tourner en dérision. Un rouge-gorge sautille autour de mon figuier. Si je peux rire de mon expérience de misanthrope plongée dans la vie communautaire en pleine catastrophe mondiale, si un rouge-gorge peut se poser à quelques pas de moi, ai-je le droit de me plaindre ?

(Prison ordinaire, fleurie et tout confort, vue en courant ce matin.)

Deux jardins plus loin, une voisine lit un magazine sur sa terrasse ; elle lève la tête vers moi, me regarde un instant avant de rentrer chez elle et de fermer sa porte. Pouvait-elle m’entendre ? Ça semble impossible mais je parle encore moins fort. Mon intimité ressentie est passée en-dessous de zéro en quelques jours, j’ai peur d’être sur écoute, peur qu’on trace mes déplacements avec mon téléphone même quand je le mets en mode avion, peur que le vent porte mes paroles jusqu’aux mauvaises oreilles. Chez moi, où que je tourne la tête, il y a quelqu’un ; le bruit des sacs de couchage me réveille la nuit depuis l’étage du dessous et mon hyperacousie n’en est pas la seule cause. J’ai un sommeil d’oiseau, un sommeil de petite proie facile. Hier, je demandais à mon amour si, dans la circonstance, elle préfèrerait avoir le pouvoir de voler ou celui d’être invisible. Puérils fantasmes de qui se sent harcelé, oppressé.

(Lézard lensois.)

Ce n’est pas le cas de tout le monde. Ce soir, une heure après le couvre-feu, des types ivres morts passent sous nos fenêtres, titubant au milieu de la rue en s’interpelant. Mon amour et moi entendons dans le lointain une clameur de type stade. Nous imaginons que des supporters frustrés se rassemblent devant des rediffusions sang et or avec des packs de Kro.

(Le stade Bollaert, comme un paquebot échoué sur un parking vide.)

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 0

Piéton(s) : 7

Joggeur(s) : 1

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

JC+14

Ce matin, j’ai tellement grignoté la peau de mon amour que je suis un peu grise (mais chut). Un merle fait des claquettes dans le jardin sous le regard blasé d’une mésange charbonnière. Mon amour s’apprête à sortir quand le soleil s’étire sur la pelouse et baigne Carol-Anne d’une lumière dorée ; je lui chante Close To You, les mains plongées dans l’eau de vaisselle, mais ça ne la fait pas rire. On se sent un peu bête quand on chante ce genre de sucrerie sans réaction. Ensuite, je ne ferai que me ridiculiser un peu plus, disant euphorie pour euphémisme et rose pour roux – ça, ce sera quand je croirai voir un lapin dans le lointain et que je m’apercevrai de mon erreur : Ah non, c’est le chien, il est rose.

Why do birds suddenly appear
Every time you are near?
Just like me, they long to be
Close to you

Notre lycéen ôte une de ses oreillettes en jurant : il n’a rien compris, il a rendu hier soir un devoir qui en fait est en train d’avoir lieu. Ils sont tous en train de le faire, là ! crie-t-il. Puis : Ils m’ont tous vu me déconnecter ! Un peu plus tard, voûté sur son assiette dans son anorak, les yeux plissés dans le soleil, il déclare : Je n’ai jamais aussi bien mangé le midi que depuis le début du confinement. Mon amour et moi rions aux éclats. Il n’y a pas de petite consolation en temps de pandémie.

Le gant du jour

Si son cadrage n’était pas si pourri, cette photo de gant serait un portrait inopiné de l’espèce à JC+14 en l’an JC+2020 : elle croit avoir inventé le feu (compteur de gaz), a littéralement dénaturé le monde (bitume), rendu son empreinte indélébile (chewing-gum), inventé les moyens de s’autodétruire (mégot) et veille à sa survie au mépris, voire aux dépens des autres (masque et gants). Oui, vraiment dommage que je ne me sois pas accroupie pour prendre la photo sous un meilleur angle – je retenais mon souffle mais j’avais quand même peur d’approcher un tant soit peu mon appareil respiratoire de ces résidus potentiellement infectieux.

Mon corps se délite, pour preuve que l’horreur du virus fait son chemin dans mon système nerveux – ce que mes cauchemars suffiraient à me révéler. Ma peau part en lambeaux ; un second acouphène, signal sinusoïdal d’un grave profond à fort volume, s’ajoute au sifflement suraigu qui ne me quitte pas depuis sept ans ; etc. Comme si c’était le moment de consulter des médecins. J’attends. Des amis me disent aussi prendre leurs douleurs et leurs plaies en patience, séquelles plus ou moins directes de l’angoisse : ce sont les dommages collatéraux du coronavirus.

Le détritus du jour

La question se pose beaucoup autour de moi, de vouloir savoir ou pas ; de fouiller Internet en quête d’informations plus sûres, plus inédites, plus vraies, ou de tout éteindre pour ne pas alimenter l’angoisse. Je poursuis mon rythme d’un article du Monde par jour, de préférence le matin pour pouvoir ensuite empiler dessus les baisers de mon amour, l’endorphine de la course à pied, la vue apaisante des lapins, et oublier un peu, un moment. En attendant, une photo de Manhattan désert m’évoque de nombreux films d’anticipation et je me dis, Alors ça y est ? Nous y sommes ?

La musique du jour

Aujourd’hui dans Anything Goes : Anything Goes. Expérience du matin : courir sur des boulevards déserts parmi les seuls emballages vides et brindilles rousses (et non roses) en écoutant la version d’Ella Fitzgerald, et bondir, danser, rebondir dans le final du grand orchestre, regarder l’ombre gesticuler, les pieds s’entrechoquer en l’air, un petit bond de cabri à gauche, un bond à droite, les hanches comme ci, les bras comme ça. Rien d’indécent mais plutôt une conscience aiguë et le désir de jouer chaque instant comme s’il était le dernier, avec l’illusion de la flamboyance.

Le parc de la Glissoire, serti entre Lens et Avion, lové dans la courbe où la N17 devient A211 (c’est celui que j’évoque dans le chapitre Dimanche du Sel de tes yeux), est fermé au public. Son jet d’eau continue de jaillir sur l’un de ses étangs, je l’imagine crépiter à la surface pour le seul plaisir des poissons, auxquels il doit offrir un jacuzzi  énergique.

Le vide exact du jour

Ma meilleure amie dit en substance que le confinement éloigne les gens et que chacun vit les événements d’une manière qui lui est propre, et qui n’est guère communicable. Il me semble pour ma part qu’il en est toujours ainsi, et que les événements ne font que révéler, à ceux qui ne les percevaient pas encore, l’extrême singularité de toute expérience et l’absolue discontinuité de l’espèce. De même que les traits les plus saillants de nos diverses personnalités sont exacerbés jusqu’à la caricature. Une amie m’écrit que son père s’ennuie au point de se porter volontaire pour le drive ; elle cite : « Tu comprends, c’est important de démarrer la voiture régulièrement » (il a une Jaguar si massive qu’elle entre à peine dans son garage). C’est bien lui. Réflexion qui n’est pas sans m’évoquer ma discussion avec Meredith Monk au sujet de son morceau Liminal (j’en reproduis une partie dans A happy woman :

« Dans Conversation with Meredith Monk, livre d’entretiens menés par Bonnie Marrancaelle dit : « C’est tout à fait ce que j’ai remarqué quand Mieke est morte, toutes ces choses que nous pensons de nous-mêmes et dont nous parlons dans Liminal. Nous disons, Elle appelait le tofu des oreillers. Il touchait toujours le mur avant de quitter la maison. Nous avons des habitudes singulières que nous assimilons à ce que nous sommes. Quand quelqu’un meurt, tout cela disparaît. Ce qui reste vraiment, c’est l’amour de cette personne et son essence. »[1]

Je demande à Meredith de me commenter cette déclaration, un soir que nous buvons un thé dans sa cuisine. C’est la différence entre la personnalité et l’essence, m’explique-t-elle : la personnalité, c’est tout ce que nous avons sur terre, mais l’essence reste ; la personnalité reste aussi, bien sûr, par le biais de ceux qui connaissaient la personne, et l’on peut toujours avoir de merveilleux souvenirs et rire à leur évocation, mais l’essence est la chose la plus profonde, qui reste le plus longtemps.

À l’inverse de Meredith, je pense que chérir un archétype n’est pas plus une erreur que de regarder une photo, ressassant le visage d’un être auquel pourtant l’on voue un amour bien plus profond qu’un trait de visage ou une ride d’expression. Je me permets de la contredire. He talks back to the radio[2], une autre phrase de Liminal, me rappelle l’un de mes arrière-grands-pères maternels parce que l’on m’a raconté une anecdote selon laquelle, aux premières heures de la télévision, il se tenait bien droit et répondait dignement, Bonjour, monsieur, au présentateur du journal. Pour moi, cet homme que je n’ai pas connu existe uniquement à travers des anecdotes que m’ont rapportées ceux qui l’ont entouré ; grâce à un détail, je pense parfois à lui, dont je n’ai aucune représentation physique. Meredith hoche la tête ; elle ne dit pas, mais je l’entends, que cette image de mon arrière-grand-père est l’ombre d’un ersatz de son essence.

[1] « It was very much the idea that I really noticed when Mieke died, all the things we think of ourselves that we talk about in Liminal. We say, “she called tofu ‘pillows.’ “He always touched the wall before he left the house.” We have idiosyncratic habits that we think we are. When someone dies, all of that goes. What reallly stays in your mind is the love that person had and the essential person. » Conversation with Meredith Monk, entretiens avec Bonnie Maranca, PAJ Publications, New York, 2004, p. 106.

[2] « Il répond à la radio ». »)

Cet après-midi, j’envoie un mail à Meredith pour lui demander comment se passe son confinement à New York et la féliciter pour la parution de son nouvel album. Je ne m’attends pas à ce qu’elle me réponde, nos rapports s’étant délités après qu’elle a lu le livre susdit (il l’a blessée, m’a-t-elle alors écrit, ce dont j’étais désolée sans pour autant être repentante, puisque je ne voyais pas en quoi il pouvait être blessant) et, à ma grande surprise, elle me répond immédiatement. J’en suis très joyeuse.

Nouvelle rubrique ! La bonne nouvelle du jour

Fantasme. Si le confinement s’arrêtait maintenant, j’irais dévaler le 94 de Noyelles, sur le chemin du retour je saluerais Carrie et Danny, puis je prendrais une douche, ensuite de quoi j’irais pique-niquer avec mon amour sur le terril de Pinchonvalles, et on rentrerait en longeant la Souchez, depuis le pied des Garennes jusqu’au pont rouillé.

Le conseil lecture du jour

« Je dépose ici un livre », dit la boîte, très didactique, « j’emprunte, je lis, je rapporte ». Il faudrait aujourd’hui ajouter à ces directives le conseil lecture suivant : « J’ouvre la boîte avec un masque et des gants, je glisse le volume choisi dans un sac plastique zippé, je laisse le volume reposer 10 jours au congélateur, je retire le volume du sac plastique zippé. C’est prêt ! »

Adolescente, j’étais aux antipodes de notre lycéen et de notre collégienne. Je n’attendais pas mes parents, ne réglais pas mes journées sur les leurs (peut-être parce que nous n’avons jamais été confinés ensemble chez des inconnus) ; quand ils m’appelaient pour passer à table, je laissais toujours une activité en suspens, à contrecœur. Je ne réclamais plus de câlins à mes parents ; je rêvais plutôt de rouler des pelles. Je ne parlais pas de mes cours et de mes notes, en tout cas pas de mon plein gré. J’étais curieuse de tout comme si je débarquais d’une autre planète (c’était bien ça). Je sortais beaucoup, chaque jour, je faisais de longues marches pour le seul plaisir d’écouter de la musique et de m’abandonner à mes rêveries, favorisées par le mouvement. J’essayais de découvrir de nouveau lieux, que j’incorporais à la topographie de mon imaginaire ; ils y étaient transfigurés, devenaient le théâtre de ma légende intime et, au fil du temps, la légende même. Par moments, partager le quotidien d’adolescents m’est difficile. Ce matin, non ; ce soir, si.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 17

Piéton(s) : 5

Joggeur(s) : 3

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui

(Un des 17 lapins du jour – de très loin, d’où le flou.)