JC+30

Le (dé)conseil lecture du jour

Ne lisez pas ce billet, ce n’est qu’un épanchement lacrymal narcissique et non informé sur le coronavirus. Il représente cependant une étape importante dans un Journal de Confinement, aussi modeste soit-il, dans la mesure où à JC+30, ce confinement devient solitaire. Par ailleurs, c’est un billet très pauvre en lapins. Ceux-ci ne sont pas du jour et nous tournent le dos.

Pourtant, je suis réveillée par un fou rire, ce matin. J’ai rêvé que je voyais quelqu’un porter des chaussettes à col polo. Je me disais que c’était normal, au fond, puisqu’on parle de cou-de-pied, pourquoi les chaussettes n’auraient-elles pas de col ? Puis je me demandais si les chaussettes plus traditionnelles étaient des chaussettes à col roulé. Je ris encore un long moment après mon réveil.

 

Je suis très fatiguée, je le suis la plupart du temps depuis le début du confinement, bien que je dorme plus que jamais. Je me blottis dans les bras de mon amour, où je somnole encore un moment. Je suis heureuse, là, dans ses bras. Je me sens à ma place. Je vais courir avant qu’il ne fasse trop chaud mais je ne suis pas en grande forme et je trouve éprouvants les dénivelés du bassin minier auxquels, ces derniers mois, j’ai pourtant fini par ajuster ma foulée, mon souffle et le travail de mes muscles, jusqu’à ne plus y penser. Je traverse

Le vide du jour

entre la Grande Résidence et la fosse 14

et je rentre par le parking du stade Bollaert, où je trouve

Le gant du jour

Quand j’arrive chez moi, il est 10h30 et une adolescente lit dans un sac de couchage sur mon canapé. Ce n’est rien, je le sais, mais je me sens très lasse. Brutalement, démesurément. C’est l’étincelle, le mini truc qui fait tout exploser. Je m’aperçois que depuis la crise de la semaine dernière, j’essaie de vivre avec ces deux adolescents comme s’ils étaient de très gros acouphènes, et que mes nerfs sont sur le point de lâcher. Mon amour m’apprend que les siens aussi. Alors je prends un calmant et je lis, Dam Sam étendue sur mon ventre, pendant que la mère et ses enfants remplissent leur voiture. Ça ne prend qu’une dizaine de minutes. Puis je dis au revoir à mon amour et c’est comme si on m’arrachait un organe à mains nues.

(Le pan de mur que fixait mon regard quand nous avons pris la décision du départ. J’y vois une œuvre belle et mélancolique, vraisemblablement d’arte povera, exprimant la finitude de toutes choses.)

Moi, j’arrache le lierre qui mangeait le mur du jardin. Peggy n’en veut plus, ni moi depuis qu’elle a évoqué un nid de rats qui autrefois vivait dedans alors je tire, je tire des lianes entières, je suis une meurtrière mais je ne ressens rien à cause du calmant – d’ailleurs il arrive qu’on cesse de sentir la douleur quand elle est trop forte. J’arrache du lierre et j’écoute mon Antique au téléphone. Elle doit entendre ma voix faire hum, puis des longs scrrrriiiiiiitch. Je parle mollement parce que je suis groggy mais je tire fort.

Tu n’es pas allée voir les lapins ? me demande mon amour au téléphone, quand elle est de retour à Paris, et je pleure parce que ce sont nos lapins. Et même le poney de mon amour ne parvient pas à me faire rire quand je regarde sa photo, je voudrais le prendre dans mes bras même s’il n’est au fond que

Le détritus du jour

La musique du jour

L’autre musique que je veux à mon enterrement : Knoxville, Summer of 1915, de Samuel Barber, sur un texte de James Agee. Pièce commandée et créée par Eleanor Steber, que l’on entend ici. Hier soir, alors que nous venions de rendre visite à nos lapins, mon amour a dit « C’est l’heure » et j’ai eu ce morceau dans la tête. Il m’était revenu plusieurs fois au cours des jours précédents – je l’écoute moins depuis quelques années, pour ne pas l’user car c’est l’un des plus beaux que j’aie jamais entendus. Je l’écoute maintenant, c’est l’heure et je suis assise à regarder les oiseaux, les chats et les bourdons affairés, Dame Sam ronronne sur mes genoux. J’aimerais écouter cette musique avec mon amour, quand elle reviendra, dans quelques jours.

It has become that time of evening when people sit on their porches, rocking gently and talking gently and watching the street and the standing up into their sphere of possession of the trees, of birds’ hung havens, hangars.

(…) By some chance, here they are, all on this Earth; and who shall ever tell the sorrow of being on this earth, lying, on quilts, on the grass, in a summer evening, among the sounds of the night. May God bless my people, my uncle, my aunt, my mother, my good father, oh, remember them kindly in their time of trouble; and in the hour of their taking away

Je clos définitivement la rubrique Mon relevé du jour. Ça fait beaucoup de clôtures, cette semaine, j’en ai bien conscience. Il y en aura d’autres, je préfère l’annoncer sans détour. J’en suis désolée d’avance.

L’enfer du jour

C’est le soir où, après avoir tant souffert de la solitude et du confinement, ma voisine a choisi d’inviter des amis et de péter les plombs. D’où : musique populaire, et on chante en chœur de toutes ses forces, et on danse en même temps, ou du moins sautille-t-on, à en croire les vibrations dans le sol. Il reste dix minutes avant le couvre-feu et quelque chose me dit qu’elle s’en fiche tout autant que de l’interdiction de côtoyer des amis. Que faire ? Elle a dit tant de fois qu’elle devenait folle : peut-être, si je lui envoyais un SMS pour lui demander de baisser le volume général, deviendrait-elle violente et se mettrait-elle à baver de la mousse, essaierait-elle de me crever les yeux, et il n’y aurait aucun témoin.