Mes processus réversibles

Il y avait autrefois sur ce blog une rubrique qui s’appelait processus réversibles et qui documentait une pratique poétique en mouvement. Il s’agissait de poèmes que je scotchais dans l’espace public ; je désignais certains d’entre eux comme des prières et les laissais donc le plus souvent à proximité d’un symbole religieux. Je photographiais le poème scotché au mobilier urbain et, d’autre part, les coulisses du processus réversible, à savoir le rouleau de scotch in situ. Le nom de « processus réversible » vient tout simplement du premier poème (ces happenings étant biodégradables, j’ai conservé le terme pour la série entière), qui date de janvier 2018 :

Tout ceci se faisait en courant – c’était l’époque où je courais avec appareil photo, papier, stylos, craies, scotch, ciseaux et parfois accessoires – on le verra plus bas. Cette série était parallèle à celle des patenôtres, prières en short dont vous pouvez encore voir les traces sur la page Ma pomme de ce blog.

Quelques-uns de mes processus réversibles favoris :

et son binôme, que j’aime beaucoup (ces deux photos ont été prises dans mon arrière-monde ronchinois préféré)

mes photos de making-of préférées :

Tout à l’heure, en tombant sur le dossier dans lequel je consigne les traces photo (souvent très moches, j’en conviens) de cette lubie qui m’a tenue quelques semaines en 2018, je me suis dit que c’était vraiment un chouette concept et que je le reprendrais bien. Oh oui, tiens, je vais faire ça. Je vous en donne des nouvelles très bientôt.

Mon premier texte

Ma grand-mère Denise me l’a donné alors que j’avais déjà publié un certain nombre de livres. Je l’ai cherché tout à l’heure pour clore un chapitre de mon requiem. Il m’amuse de penser que je suis toujours cette petite fille, qui aime les gentils animaux et les accents circonflexes.

Transcription : d’aborre on fête la soiré pare des chansson et de la music est de tré belle isstoirre an volonté c’est t’une vrai fête de janti come au parady il y a même des oiseau est des joli papillon des biche tout des janti animeau comesa c’est ma méiure fête que j’ai vi un rêsstoran des jeu de toute sorte d’afêre

Pas des touristes

Nous l’avions déjà fait il y a deux ans, comme je le racontais ici, et nous l’avons refait : nous avons écrit une pièce de théâtre en cinq jours. Cette fois, notre thème était particulièrement sexy : la mobilité. Ce qui ne nous a pas empêchés de rire aux éclats, ces neuf phénomènes et moi. Ils vont me manquer, comme après chacun de nos ateliers…

Thérèse, Paulette, Gigi, Christine, Jacques, Didier, Bernard, Barbara et Hélène, prêts pour la suite (dès lundi): l’atelier de théâtre.

Une rencontre scolaire

Avez-vous un travail à côté de l’écriture ? me demande-t-on souvent. La plupart du temps, je me contente de répondre que je n’en ai pas le temps, dans la mesure où j’écris toute la journée, chaque jour, week-end inclus le plus souvent, mais quand la question m’est posée par un-e élève, je développe un peu : J’accepte ce que l’on appelle des activités annexes, j’anime de temps en temps des ateliers d’écriture, je réponds à des commandes, je rencontre des classes comme la vôtre – je suis payée pour être ici. Aucun, assez curieusement, ne m’a jamais demandé si j’aimais faire ça, être là, avec eux. Ils ne se doutent pas que dans toutes les classes de toutes les régions de France où j’interviens, on me pose les mêmes questions avec la même fierté, d’ailleurs bien légitime, d’avoir bien préparé la rencontre. Ces rencontres sont celles de mes activités annexes qui m’angoissent le plus – au point que, chaque fois, je commence à souffrir d’insomnie et de nausées une semaine avant le départ. Petit tour des questions les plus fréquentes, illustré de photos souvenirs de rencontres, glanées sur les blogs de CDI et festivals.

– Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir écrivain ?

– Petite, déjà, je n’aimais pas le monde dans lequel nous vivons, alors je m’en suis fabriqué un autre, parallèle. Il n’est pas forcément plus lumineux ni plus juste que le nôtre, mais c’est moi qui décide de tout ce qui s’y passe, de ce qui peut y entrer ou pas. La fiction est un incroyable espace de liberté, le seul où l’on puisse exercer une maîtrise presque totale sur tous les éléments à disposition.

– Où trouvez-vous l’inspiration ?

– Je n’emploie pas le mot inspiration, il véhicule l’idée d’un souffle mystique qui soudain habiterait l’artiste et qui parfois l’abandonnerait. Ce que l’on appelle communément ainsi, me semble-t-il, c’est un désir qui s’exprime à travers l’inconscient. En ce qui me concerne, je puise la matière de mes textes dans l’observation. Si je suis un réceptacle, ce n’est pas celui d’illuminations en provenance de sphères éthérées mais de l’ordinaire. J’en recoupe d’infinitésimales bribes de manière à les mettre en relief et à en exprimer une saveur particulière. Je suis émerveillée par les petites choses que la plupart des gens oublient de voir tant elles leur semblent familières : pour anodines qu’elles puissent paraître, elles composent la texture même de la vie. Ou, plutôt qu’un réceptacle, je suis un filtre, car tout ce qui traverse mon expérience terrestre est susceptible d’être recyclé dans mes textes, plutôt que simplement reproduit. Je découpe le réel à ma convenance, selon les besoins de ma fiction. J’ai connu des gens qui retranchaient des visages sur les photos – cette violence faite au réel est une forme de fiction : l’on veut se souvenir d’un moment mais le rejouer sans celui ou celle dont aujourd’hui l’on voudrait nier l’existence tout entière. Mon approche du réel par le biais de l’écriture consiste en un mélange d’attention et d’intuition assorti à un certain sens du cadrage.

 

– D’où vous vient l’idée d’un roman ?

– Un roman ne provient jamais d’une seule idée mais d’un faisceau d’obsessions, certaines fondamentales, tenaces, et d’autres plus récentes, peut-être éphémères – des lubies, les emportements d’un moment. Un roman est un accident qui se produit à la confluence de lignes ténues et d’autres profondément marquées.

– Comment créez-vous vos personnages ?

– Au CP, j’avais un ami imaginaire. Mes parents ont mis des mois à s’en rendre compte. Moi, je ne m’en souviens pas, ils me l’ont raconté. Je ne sais donc pas comment je l’ai construit, à l’époque, mais je suis sûre qu’il était là pour emplir une fonction précise. Les personnages ont une fonction avant de développer ce que l’on pourrait appeler une personnalité. Je vous ai dit qu’un roman naissait à la convergence de diverses lignes thématiques, de divers motifs. Au départ, les personnages sont des concepts qui doivent servir ce projet. Mais bien sûr, ces bonhommes-bâtons doivent s’étoffer, s’incarner. Il doivent être crédibles, ce qui signifie qu’ils finissent toujours par se dérober à notre volonté. Parfois, on aimerait faire d’eux les dépositaires de nos causes, de nos colères, de nos peines, on aimerait tout miser sur eux, faire d’eux nos porte-parole, dans l’urgence de ce que nous, les metteurs en scène de leur expérience, avons envie de brandir. Mais ce n’est plus possible, parce que les personnages ont déjà acquis une cohérence et que nos nouvelles velléités ne sont pas compatibles avec ce que nous avons fait d’eux. Ils sont devenus indépendants de nous. Non pas autonomes, ce n’est pas un processus magique, mais affranchis de nos caprices.

– Est-ce que certains de vos livres sont traduits dans d’autres langues ?

– À ce jour, un seul, en italien. J’ai parfois rêvé d’écrire en anglais, mais j’en serais incapable. Il faut une familiarité incroyable avec une langue pour y créer la sienne propre. Chaque jour, je consulte mon dictionnaire en ligne des dizaines de fois pour vérifier le sens exact de mots pourtant usuels. Je peux les employer de manière approximative à l’oral, ça ne me dérange pas, mais dans mes textes je veux être sûre de mon choix. Pas uniquement pour transcrire ma pensée avec précision, j’aime aussi m’aventurer dans des champs lexicaux qui n’appartiennent pas traditionnellement à la littérature, ou extraire certains mots des expressions toutes faites où le langage ordinaire tend à les figer. Aujourd’hui, je peux dire que je ne suis pas très à l’aise avec la langue française. Rien ne me vient mécaniquement, je m’emmêle les prépositions, comme en anglais – ou peut-être un peu moins, disons que c’est comme si j’avais appris le français en LV1 et l’anglais en LV2, mais que je n’avais pas de langue maternelle. Plus j’écris, pire c’est, rien ne me semble plus naturel, rien ne s’enchaîne avec fluidité, chaque tournure de phrase et chaque mot semblent étranges et je me demande ce que je suis censée en faire. À force de triturer la langue et de questionner ses mécanismes, j’oublie parfois ces expressions toutes faites, je les écorche.

– Est-ce que vous relisez parfois vos livres ?

– Quand l’un de mes livres paraît, je l’ai déjà lu cinquante, cent fois, si l’on additionne tous les stades de l’écriture et des corrections. C’est bien assez. S’il m’arrive de devoir y chercher des extraits pour préparer une lecture publique, je suis bien obligée de le feuilleter et de m’attarder sur certains de ses passages, mais je sors souvent de l’exercice avec une impression désagréable. Même d’un roman paru récemment, deux ou trois ans plus tôt, je me dis que je ne l’écrirais plus de la même manière aujourd’hui.

– Est-ce qu’il vous est arrivé d’abandonner un texte en cours ?

– Plus d’une fois, d’ailleurs souvent à un stade très avancé de l’écriture puisque je ne renonce pas facilement. Mais je range ces textes inachevés dans un dossier où je peux retrouver très facilement tel ou tel élément que je souhaiterais insérer ; c’est ce qui m’aide à laisser de côté sans trop de regrets des phrases, des paragraphes, parfois des pages entières que j’ai écrites avec l’impression de toucher à une forme de grâce. J’envisage toujours que ces unités plus ou moins grandes pourront me servir un jour et qu’elles trouveront dans leur nouvel environnement un espace qui leur conviendra mieux.

– Est-ce qu’il vous arrive d’avoir envie de faire autre chose ?

– Je change suffisamment d’univers d’un livre à l’autre pour ne pas avoir l’impression de faire toujours la même chose. Par ailleurs, je souhaite sortir le plus possible de la solitude et de la position assise supposés propres à mon activité. J’associe de plus en plus le mouvement à l’écriture, et je rêve de collaborations telles qu’on en trouve tant dans la musique.

– Dans un roman, qu’est-ce que vous préférez écrire ?

– J’aime toujours beaucoup la toute première page. Parfois, il s’avère qu’elle ne reste pas la première page, qu’elle disparaît ou qu’elle est déplacée plus loin, mais quand je l’écris, j’ai conscience de poser les bases de ce qui fera la texture et la saveur du texte, son acoustique, sa lumière, sa tonalité. Quand je l’ai terminée, relue plusieurs fois tout en la modifiant, la polissant, je devine si j’aurai envie d’y revenir ou pas, et je peux presque déjà sentir si je pourrai aller jusqu’au bout du roman. Le lendemain, quand je m’apprête à relire la page, j’ai dans le ventre quelque chose qui tient à la fois de la délectation et de la peur.

– Écrivez-vous sur papier ou sur ordinateur ?

– Je prends des notes dans un carnet, j’y écris des formes brèves, des poèmes ou des instantanés que peut-être j’incorporerai plus tard dans un texte long. Quand je travaille sur un chantier romanesque, l’ordinateur me permet à la fois une vue globale et un contrôle des différentes pièces qui s’y insèrent : je peux passer l’ensemble en revue et m’attarder sur un passage qui n’y est pas bien fondu ou qui me semble nécessiter des finitions. Le copier-coller sauve de l’indéchiffrable quand on modifie beaucoup. Un carnet ne peut contenir un texte modulable à l’infini.

– Quel message voulez-vous faire passer dans vos romans ?

– Je n’écris pas le genre de livres qui portent un message. Il n’y a pas de moralité à la fin. Ce n’est pas initiatique, ni didactique. Toutefois, je pense qu’en filigrane de toutes mes fictions, quels que soient leur univers et leur sujet, je laisse entrevoir d’autres manières d’être au monde que celles imposées par les schémas dominants. J’incite mes lecteurs à casser la petite case qui leur a été impartie dès avant la naissance, dessinée par les déterminismes de classe, de genre, de géographie, à inventer ce qu’ils désirent être sans laisser quiconque en décider à leur place. Je les invite à refuser le conditionnement. Il y a de la place dans les marges, et l’on y est plus à l’aise que dans les cadres préfabriqués, chargés comme des casiers de ruche. Au lycée, je souffrais de me sentir différente, décalée, je ne comprenais pas que cette différence pouvait devenir une force et que, du moins, elle présente une forme de beauté. Parfois, un livre m’aidait à me sentir un peu moins seule, ou une musique, un film ; j’ai appris à considérer les œuvres comme de potentielles amies. J’espère que des jeunes gens aussi inadaptés que je l’ai été se sentent moins seuls, un moment, en lisant les livres que je leur destine.

– Avez-vous des rituels d’écriture ?

– Je glane des images et des idées en courant. Souvent, je rentre de ma course à pied la tête pleine de brouillons. Ensuite, je m’installe à mon ordinateur, je choisis une musique instrumentale qui correspond à l’atmosphère du texte que je me propose d’écrire. La plupart du temps, mon chat dort sur mes genoux. Je me fais un thé de temps en temps et, pendant que l’eau chauffe et que le thé infuse, je fais le point sur ce que je viens d’écrire et sur ce que je vais aborder en regagnant mon bureau.

– Comment savez-vous qu’un roman est terminé ?

– C’est comme quand vous vous réveillez d’un rêve, ou d’un cauchemar. Il vous faut parfois quelques secondes pour distinguer le rêve de la réalité. Comme le rêve, la fiction s’interrompt parfois avant la résolution, alors c’est ce que l’on appelle une fin ouverte. Parfois, elle s’arrête au moment où elle forme un Ouroboros.

Et pour finir, un court métrage réalisé et interprété en 2014 par des jeunes gens de Dinan, d’après mon roman pour ados Holden, mon frère (L’école des loisirs) :

Court métrage réalisé par les élèves du collège Roger Vercel de Dinan au cours des ateliers initiation à la vidéo organisés par La Médiathèque de Dinan. Libre adaptation du roman jeunesse de Fanny Chiarello « Holden mon frère » Un projet à l’initiative de Laure Tourenne. Intervenants vidéo : Ronan Grassat & David Brunet. Elèves participants , classe de 4ème de Mme Pinto : Laurie Babouchkine, Côme Bellet, Mathieu Renaux, Chloé Lafont, Klervi Harang, Killian Larose, Lucas Laune, Quentin Prieur.

De la constance

Cette semaine, je compulse les albums de famille que mes parents ont accepté de me confier et je m’aperçois que je ne me suis pas réinventée depuis la plus tendre enfance (ça ne va pas me simplifier le monde d’après).

Ci-dessous, un extrait de ma Lettre à une jeune athlète dont je ne ferai jamais rien (je pense) :

« Certaines photos d’enfance semblent contenir en germe tout ce que nous allons devenir. Pour que tu comprennes précisément ce que j’entends par là, voici un exemple qui te fournira un indice de pertinence. Si je devais te donner un aperçu de la manière dont je ressens mon inscription dans le monde, je te montrerais cette photo dont chaque détail révèle quelque chose qui m’est essentiel.

Regarde, je suis dans le manège ; j’ai voulu monter dans le manège. Je suis seule. Mon menton tremble et mon regard supplie ou accuse (difficile à dire, et cette ambiguïté a son importance, comme chaque autre détail) cependant que ma main tient fermement le volant du véhicule, immatriculé 62, d’une couleur indéfinissable (ce genre de couleur au sujet de laquelle on se chamaille, les uns y voyant du bleu, d’autres du vert). Il porte l’inscription Excursions : pas Mickey Mouse, pas Sapeurs pompiers, non, Excursions, ce mot suranné qui étymologiquement signifie « course au dehors » – le programme d’une vie. Note bien que je suis assise du mauvais côté de la voiture, passagère tâchant de maîtriser sa trajectoire à l’extérieur de la courbe.

Tenir entre mes mains des photos qui me révèleraient de toi autant que cela est une perspective à la fois effrayante et exaltante. »

Aujourd’hui, j’ai commencé à scanner des photos tirées des albums de mes parents ; retrouver les décors et les protagonistes de cette enfance si joyeuse est une expérience étrange. Je n’ai oublié aucun carrelage, aucun objet, aucun meuble, aucune robe de mes grands-mères, aucune coupe de cheveux de ma mère, aucune moustache de mon père. J’ai aussi trouvé quelques clichés qui trahissent la constance de mon caractère.

On voit d’abord qu’à trois mois, déjà, je suis l’amie des animaux.

J’ai aussi un clown qui n’est pas sans évoquer celui d’un film qui deviendra l’un de mes films cultes, Poltergeist (1982).

Mais je ne risque pas d’être happée par la neige d’une télévision comme l’est Carol-Anne dans le film de Tobe Hooper car, déjà, je les préfère éteintes.

Mes problèmes de communication, on le constate ici, ne sont pas récents.

Je trouve ma vocation à l’âge de 2 ans. (« Tu en auras noirci, des carnets », remarquait ma grand-mère Denise, il y a une quinzaine d’années, avant d’ajouter, « Si tu as ton bonheur comme ça… »)

Je suis aussi une contemplative et une amoureuse de la nature. (J’adore cette photo, ses couleurs ; si je sortais un disque, elle en ferait sans doute la pochette ; ce serait un disque expérimental avec sans doute un peu de violoncelle.)

Je sais dès le plus jeune âge que je ne veux pas être mère. Je maltraite toutes les poupées que l’on persiste à m’offrir pour tenter de m’attendrir et celle qui se trouve dans ce landau a l’air de me désespérer, ou de me dégoûter.

Je suis de toute façon ce que l’on appelle gracieusement un garçon manqué – je préfère le terme tomboy, peut-être à cause de Princess Nokia et de Céline Sciamma.

(Ici avec mes cousins et grands complices d’enfance, Jérôme et Valérie.)

(Là avec mes copains de maternelle, Grégory et Samuel.)

On s’aperçoit rapidement que je ne suis pas toujours commode. (Qui se douterait que, 40 ans plus tard, on m’appellerait Amy, contraction d’Aimable et de Fanny ?)

J’entretiens Mon Bolide avec amour.

Je me fais des cabanes avec trois fois rien : un tancarville, une natte en rabane, deux torchons, quelques pinces à linge. Ici, je suis entourée de mes merveilleuses grands-mères, Denise et Lucette.

J’adopte très jeune cette manière bien à moi de positionner les pieds, qui aujourd’hui encore fait rire mes amis, et je suis une mélomane précoce.

Ici, je parie que j’écoute Porque te vas de Jeanette, dont je suis fan (j’adore Cria Cuervos – Carlo Saura, 1976.)

En toutes choses, je suis sérieuse. Même sous les flashes, je ne me départis pas de la solennité requise par la communion privée (les Upper Rooms & Kitchens viendront plus tard). Je suis juste derrière la fille aux cheveux bouclés qui regarde l’objectif.

Ce qui ne signifie pas que je boude le feu des projecteurs et le devant de la scène, même si, sur cette photo, par un mouvement qu’il n’est pas compliqué de deviner, je suis au fond, en Joséphine – nous dansons ici sur Le bal masqué de la Compagnie Créole, n’est-ce pas l’archétype de la kermesse ?

Blosne du soir

Comme je ne suis toujours pas prête à vous montrer mon Blosne (ni Bréguigny ni la Poterie), voici trois photos génériques prises ce soir en tournant sur moi-même et qui ressemblent à ce que je ressens. La bande son est signée Cucina Povera (Maria Rossi, artiste finlandaise établie en Écosse), l’un de mes derniers grands coups de foudre musicaux.

Ma résidence au Triangle (1)

Le neuvième jour de ma résidence au Triangle de Rennes s’achève sans que j’en aie posté une seule photo mais ce n’est pas parce que je n’ai rien à montrer ou que je passe un sale moment, c’est parce que le Blosne est un magnifique monstre dont on voudrait donner à voir chaque recoin sous tous les angles : 269 hectares d’ébahissement urbanistique et architectural (ça vaut aussi pour les quartiers limitrophes, la Poterie, Bréquigny, et pour la commune Saint-Jacques-de-la-Lande). J’adore. Pendant ces neuf jours, j’ai bien travaillé, inlassablement écumé le territoire en courant et en marchant avec mon appareil photo, et joui sans entrave du trésor qui se présentait à moi. Aujourd’hui, j’ai pu livrer à mon interlocutrice du Triangle un synopsis à peu près complet du texte que je vais écrire ici, tous les rouages s’étant agencés comme par magie dans la matinée, alors que je courais en quête de décors où situer mon action alors encore embryonnaire. J’ai trouvé les lieux et tout le reste dans la foulée – littéralement : courir est décidément un outil de travail à part entière. Je ne me sens pas encore capable de sélectionner quelques photos du quartier parmi les 250 que j’ai déjà prises alors je vais me contenter de vous présenter 1. la maison (le Triangle), 2. un ami (Ricky) et 3. une plaque dont la vue m’a fait vaciller quand je l’ai enfin trouvée, au cours d’une marche de 3h30, vendredi dernier ; cette photo-là illustrerait à la perfection le texte que je vais dès demain commencer à écrire.

(Le Triangle est un bâtiment trop grand et trop complexe pour que j’en propose plus qu’un détail aujourd’hui.)

(Dans les parcs du Blosne et de Saint-Jacques, on croise des écureuils férus de voltige – ici, mon pote Ricky dans le parc des Hautes-Ourmes.)

(Le Blosne était à l’origine un ruisseau, dont on trouve encore des segments visibles.)

Et un extrait de ma B.O. de cette première session – la musique sophistiquée de Julia Holter a souvent accompagné mes extases topographiques, à la nuit tombée ou dans le soleil suraigu du matin :

1409

Le mille quatre cent neuvième et dernier week-end de ma vie lilloise – mon acte II – touche à son fin. L’acte III débutera samedi prochain. Que souhaites-tu faire de ce dernier dimanche ? aurais-je pu me demander si j’avais eu besoin d’y réfléchir, mais mon instinct a guidé Mon Bolide sans tergiverser à travers mes quartiers préférés de Villeneuve-d’Ascq, en finissant par la Cousinerie et les Marchenelles, puis entre champs et bosquets dans un silence presque parfait, jusqu’à Hem, Roubaix, Croix, ensuite de quoi nous avons dévalé le Grand Boulevard qui a été l’une de mes premières amours topographiques dans la métropole lilloise – au début des années 2000 c’était une passion, d’ailleurs certains d’entre vous ont dû connaître la carte postale ci-dessous, que j’ai publiée en 2005 sur mon blog alors intitulé Rien n’arrête nos esprits (et dont est tiré mon recueil Je respire discrètement par le nez, où l’on trouvait également les aventures de Dancing Chicken et de Sean Mondino, mais surtout la série à succès Avec Marie-Eustache et nos amis) :

Aujourd’hui, ce serait plutôt

Mais mon dernier coup de cœur dans la métropole lilloise, c’est ce lotissement de la Cousinerie qu’enrobe la rue de la Cimaise et où l’on trouve, entre autres éblouissements, ces trésors de géométrie :

Ici, même les arbres sont au cordeau

sauf celui auquel je m’identifie

Il n’y a pas que des allées pavillonnaires mais aussi de petites résidences et, naturellement, les chemins de traverse qui font le sel des lotissements.

J’adore aussi la vue qu’offre ce Beaucoup Fun du quartier Flers Bourg.

Et le ciel était poignant, à la fois mélancolique et lumineux : parfait pour ce dernier dimanche de l’acte II. Qu’il en soit remercié.

27 ans plus tard

Quitter une ville après y avoir vécu vingt-sept ans est étrangement douloureux – et, sans vouloir me plaindre, on n’est guère compris : après tout, on l’a choisi, et (en ce qui me concerne) on ne s’en va pas très loin. Or il se passe des choses inattendues, à l’approche du départ, et le mien est imminent. Des souvenirs et des visages que l’on n’avait pas évoqués depuis des années, des décennies, reviennent à la mémoire sans avoir été convoqués. Cette nuit, en rêve, j’ai revu mon amie Cathy ; dans la vraie vie, ce n’est pas arrivé depuis plus de quinze ans. Chaque jour m’apporte ainsi son lot de fantômes et d’anecdotes. Pour le dire simplement, c’est comme voir sa vie défiler. Désormais, chaque pas que je fais dans les rues de Lille soulève une poussière de réminiscences. Dès lors, il est difficile de ne pas avoir l’impression de mourir un peu, même si c’est dans l’espoir de renaître ailleurs autrement, si possible mieux.

(Où suis-je ? HK1, Faidherbe, 1992)

Je n’aurais pas pensé dire ça un jour mais, tant que j’y suis, pour être sûre de n’oublier personne, j’aimerais pouvoir faire défiler un générique de fin et revoir une dernière fois ceux que j’ai connus ici puis perdus : ceux qui sont morts, ceux qui sont partis avant moi, sans laisser d’adresse ni plus de trace dans la ville que je n’en laisserai, ceux avec qui je suis brouillée pour toujours, ceux dont je ne saurais dire pourquoi je ne les vois plus, ceux dont je me demande comment j’ai pu oublier leur nom, ceux dont j’ignore ce qu’ils sont devenus et dont je ne saurais même pas dater la disparition de mon petit paysage, ceux dont je ne me rappelle pas pourquoi je traverse la rue pour ne pas les croiser, ceux dont je me rappelle très bien pourquoi j’évite chaque lieu qu’ils sont susceptibles de fréquenter, ceux qui semblent inscrits dans la ville au même titre que sa pierre, ses briques, ses pavés, ceux dont le visage m’est aussi familier qu’un motif de papier peint, mais où ai-je déjà vu ce papier peint ?

Quant à moi, la première année de ma vie lilloise, je ressemblais à ça (après élimination, avec ciseaux à bouts ronds, des cheveux  présents sur la photo de classe).

(à droite, après repousse : plus joyeuse)

Mon arrivée dans cette ville me semble à la fois dater d’hier et d’une autre vie. Je revois certains visages de l’internat ; pas tous, pas même celui de la fille qui me faisait face dans le dortoir de soixante lits, d’aspect militaire (un lit, une armoire, un lit, une armoire). Bien qu’aucune ne m’ait manqué pendant toutes ces années, bien que jamais je n’aie envisagé concrètement la possibilité de revoir l’une ou l’autre, il me semble que nous sommes les aigrettes d’un pissenlit, disséminées à la surface du globe terrestre. Ce pissenlit était un faisceau de hasards : le dossier de l’une avait été accepté de justesse, une autre avait longuement hésité entre Lille et Douai, une autre encore avait opté en dernière minute pour l’internat, renonçant à prendre son premier studio, et nous avions été réunies à la jonction de soixante chemins tortueux, ne nous en réjouissant ni ne nous en plaignant, puis la vie avait soufflé l’heure de notre dispersion. Si je n’étais pas en train de faire mes cartons, m’aurait-il un jour paru étrange et poignant de ne jamais revoir ces jeunes filles avec lesquelles j’ai partagé un dortoir ou leur souvenir se serait-il totalement effacé à mon insu ? Où qu’elles soient aujourd’hui, j’espère qu’elles vont toutes merveilleusement bien.

(1992, internat du lycée Faidherbe : quelques-unes de mes camarades (mélange de prépas littéraire et scientifique) + 3 garçons que leurs petites amies avaient cachés)

Récemment encore, je ne me rendais pas compte qu’à mes yeux nous avions formé une espèce de famille, une famille comme on en a plusieurs dans une existence, celle du sang, celle des amis, mais aussi celles que peuvent constituer une troupe de théâtre, un groupe de musique, un dortoir, ou un moment. Ci-dessous, détail d’un pêle-mêle de l’été 1999 – j’évoque cette bande-là dans deux de mes premiers romans, Si encore l’amour durait et Push the push button.On penserait que c’était la mode des T-shits blancs mais je crois qu’aucun d’entre nous n’a jamais été à la mode ; un hasard blanc, sans doute.

Je ne vois pas défiler que des visages mais aussi des lieux, dont certains n’existent plus, ou plus sous la même forme. J’ai quasiment l’impression de quitter une autre ville que celle où je suis arrivée il y a 27 ans et deux mois, d’autant que depuis plusieurs années, je vis plus dans la banlieue que la ville même. Je connais avec précision de nombreuses villes de la métropole lilloise, tant j’ai consacré de temps à explorer le territoire, à pied, à vélo, en courant. Est-ce le signe qu’il est temps de partir ou est-ce un gâchis ? me suis-je demandé récemment, et la réponse m’est venue plus facilement que je ne l’aurais cru : ça ne peut être un gâchis puisque je ne partage ma connaissance des lieux avec personne, mon approche du territoire reposant sur ce que mes propres amis appellent des drôles de lubies. Je peux dire où se situe le plus volumineux Chalet du Nord sur une aire de 150 km² (c’est assurément à Ronchin) mais je n’ai aucune idée du personnage historique auquel tel monument rend hommage, à supposer que mon regard ait jamais prêté attention audit monument. Rien de très transmissible. En ce qui me concerne, j’ai depuis longtemps exprimé toute la saveur de la plupart de ces lieux et n’en retrouve plus l’intensité que lors de sporadiques épiphanies – à part peut-être à Villeneuve-d’Ascq, que j’aime toujours aussi passionnément (eh oui) – ça c’est une photo que j’y ai prise dimanche, précisément à la Cousinerie :

(amour éternel)

Quand j’aurai le recul nécessaire (celui de la distance mais aussi, sans doute, celui du temps), j’essaierai d’exploiter sous une forme pertinente ce que je connais de ce territoire, et quelques-unes des quelque 12 000 photos que j’y ai prises, dont certaines ont fait un passage sur ce blog avant son démantèlement – le genre de beautés et merveilles que peu d’entre nous voient, comme celle-ci, sur un mur de Marcq-en-Barœul :

J’ai commencé à me promener à Lille avec un appareil en 2003. C’était l’époque où je voulais que mes photos aient l’air sorties d’une photocopieuse des PTT, à 50 centimes la copie, ou d’une caméra de surveillance. C’était l’époque où Lille était encore décrépite et par endroits inquiétante, ce qui faisait une grande partie de son charme. On y trouvait ceci, en plein centre ville :

Je viens de retrouver les originales, ça n’a pas grand chose à voir. Dans certains cas, ce traitement cheap ne rendait pas trop mal :

Pour vous donner une idée, l’image ci-dessus ressemblait à celle ci-dessous avant mon traitement spécial « photocopie PTT » :

J’étais jeune et très fan de Sonic Youth – dis-je au passé alors que, samedi soir, lors de ma sortie de l’année dans le centre de la ville, empruntant des chemins glauques baignés de lumière orange baveuse (une pure lumière de photocopie PTT sans effets spéciaux) pour contourner les rues à touristes, j’ai trouvé un certain charme à la promenade parce que précisément, j’écoutais No Home Record de Kim Gordon, sorti quelques jours plus tôt – Will you get, will you get, get lost.

En 2003, j’étais déjà très attentive à Jésus agent de la circulation, comme en témoigne cette photo avec camion poubelle, véritable ancêtre de mes Upper Rooms & Kitchens.

Et ça, JMJ, ce n’est pas le Bronx dans les années 1970 mais mon quartier (Moulins) en 2003 (toujours), très précisément l’angle de la rue d’Avesnes et de la rue de Wattignies avant que le terrain ne devienne la place du Carnaval avec ses sculptures pour école maternelle et sa résidence du Soleil Intérieur, où les fenêtres ont l’air de meurtrières.

Mais c’est fini, tout ça : au revoir, Lille. Et à bientôt pour un sacré National Geo consacré à sa banlieue. Ça, ce sera après Rennes – ah oui, Rennes : je vous en parle bientôt.

Resink

Ça faisait un an ce matin. Un an que j’avais pris la photo de la jeune athlète que l’on peut voir dans mon expo Ligne 18 et qui figurait dans L’Humanité du 25 avril dernier. La fleur de thé se trouvait-elle au parc ce matin pour fêter l’événement, et pour que je lui remette enfin son exemplaire de L’Huma (un peu fatigué de voyager depuis des mois dans ma sacoche de vélo) ?

Eh non.

Je profite de l’occasion pour vous dire que cette page de journal est à l’origine de mon roman à paraître en janvier aux éditions de l’Olivier (quel teaser !), roman que j’appelle affectueusement Le Sel et dont je suis en train d’écrire la suite (Le Sel 2, en somme) ou plus exactement le négatif (Le sucre, donc), avec la même ferveur. Autrement dit, considérez qu’après ces quelques jours de disponibilité, je suis de nouveau en résidence. Merci de votre compréhension, jamais démentie. See you later, alligators!